Raton-Liseur - Lectures de 2012

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Raton-Liseur - Lectures de 2012

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1raton-liseur
Bearbeitet: Jan. 4, 2012, 6:16 pm

Une nouvelle année commence, et mes vagabondages livresques continuent…
Suite logique de mes listes de lecture de 2010 et de 2011, voici un nouveau chapitre de mes aventures livresques. Après avoir fini le primesautier Tortilla Flat (un qualificatif que je ne m’attendais pas à utiliser pour un livre de Steinbeck !), une lecture parfaite pendant les fêtes, je me suis attelée depuis quelques jours au très volumineux classique de Tolstoï, La Guerre et la Paix. N’attendez donc pas une grande activité sur cette liste de lecture dans les semaines qui viennent, il va me falloir un peu de temps pour venir à bout de ces presque 2000 pages (jusqu’à présent une lecture intéressante, à suivre…) et venir vous faire part de mes impressions de lecture !

A tous, bonne année et bonnes découvertes livresques. Et, bien sûr, n’hésitez pas à laisser un petit message sur cette liste si l’envie vous en prend ! Bon vagabondage livresque à tous !

2raton-liseur
Bearbeitet: Jul. 18, 2012, 4:20 pm

1. Tortilla Flat - John Steinbeck
Cela vaut vraiment la peine d’être bon et généreux (…) ; non seulement on accumule ainsi de la joie pour les demeures éternelles, mais on trouve aussi une récompense immédiate, dès ici-bas. Une chaleur dorée habite votre cœur et rayonne comme une brûlante saucisse aux piments dans l’estomac. (p. 107, Chapitre 9, "Comment les amis de Danny cherchèrent un trésor mystique (…)").
Un livre qui dénote un peu dans la biographie de Steinbeck. Gai, ironique, amoral. Une lecture où il ne faut pas chercher de grand message philosophique, mais juste ne pas bouder son plaisir.
Danny et ses amis sont des « paisanos » du quartier de Tortilla Flat dans la banlieue pas bien chic de Monterey. Ils prennent la vie comme elle vient, se lèvent avec le soleil, mangent où la table leur est offerte et boivent surtout. Ils m’ont fait pensé à des Kerouac avant l’heure, en moins intellectualisés mais tout aussi arrosés.
Le roman n’a pas de fil conducteur en temps que tel et se résume plus à une série d’anecdotes qui fonctionnent toujours un peu sur le même modèle. Ce pourrait devenir fastidieux, mais le roman est assez court pour que le lecteur n’ait pas le temps de se lasser.
Une lecture qui m’a fait découvrir une nouvelle facette de Steinbeck et qui, à ce que l’on m’a dit, se rapproche de livres tels que Rue de la Sardine. C’est le Steinbeck des débuts et de l’insouciance, le Steinbeck du soleil de Californie quand il est doux et chaud. Le soleil des récoltes perdues et du spectre inquiétant de la pauvreté viendront quelques années plus tard. A lire pour ceux qui aiment les ouvrages de Steinbeck et qui veulent mieux le connaître.

3lacurieuse
Jan. 13, 2012, 1:16 pm

Je n'ai jamais rien lu de Steinbeck, même si j'ai étudié en anglais. Lequel me recommanderiez-vous pour commencer? Je crois que j'ai Of Mice and Men et The Grapes of Wrath à la maison (trouvés dans des librairies d'occasion et achetés "parce que ce sont des classiques que je dois lire"!).

4raton-liseur
Jan. 13, 2012, 6:07 pm

Quelle lourde responsabilité que de conseiller un premier Steinbeck ! C’est un auteur que j’aime beaucoup, et, lorsqu’on commence à lire des livres un peu moins connus, on s’aperçoit qu’il a de multiples facettes et surprend souvent.
Mon livre préféré de Steinbeck est très certainement A l’Est d’Eden, lu alors que j’étais adolescente. Je me suis promise de le relire un jour, mais cela fait partie d’un de mes meilleurs souvenirs de lecture et cela m’intimide : j’ai peur d’écorner un merveilleux souvenir si la relecture n’est pas à la hauteur de mon souvenir…
Sinon, commencer par Les Raisins de la colère me paraît une bonne idée. C’est le Steinbeck social, celui des grandes fresques, probablement ce pour quoi il est le plus connu. Des souris et des hommes me paraît un livre plus singulier dans son œuvre. Bonne découverte !

5raton-liseur
Jan. 13, 2012, 6:14 pm

Pour ceux qui s’inquièteraient de l’avancée de mon marathon de lecture tolstoïen, j’ai fini hier soir le Livre I de La Guerre et la Paix (soit pas même le quart de l’œuvre…). Je viens d’essuyer, en compagnie des personnages principaux, une cuisante défaite à Austerlitz

6Cecilturtle
Bearbeitet: Jan. 13, 2012, 10:12 pm

#3 Steinbeck est une bête curieuse - mélange d'absurde, de comique et de drame. Personnellement, j'ai beaucoup aimé Of mice and men et The Red Poney, une de ses nouvelles très connues qui est en général recommandée comme initiation.

7lacurieuse
Bearbeitet: Jan. 13, 2012, 10:22 pm

Merci de vos recommandations raton-liseur et Cecilturtle!

Et puis je comprends bien cette peur de gâcher ses bons souvenirs d'un livre. J'en ai quelques livres comme ça, que j'ai envie de relire mais que je ne lis pas au cas o\u je serais déçue!

8raton-liseur
Jan. 21, 2012, 12:29 pm

Alors que j’ai fini le premier tome de La Guerre et la Paix, je fais une petite pause BD dans cette lecture dense. Voici donc quelques traces de lecture tant en mots qu’en images avant que je ne retrouve Napoléon pour la campagne militaire qui lui coutera de nombreuses vies et ses rêves d’empire…

9raton-liseur
Jan. 21, 2012, 12:31 pm

2. Au Pays de la mémoire blanche - Carl Norac (Texte) & Stéphane Poulin (Illustrations)
Ici, les rêves de jour sont interdits, il faut les cacher. Certains chats les tiennent sous la langue, prêts à les avaler. D’autres matous les chantent ou les dessinent. (…)
Des chats plus audacieux veulent voir pour de vrai les rêves vivre. Ils s’enfoncent dans les lignes interdites, esquissent un tag ou osent un graffiti. Leur espérance de vie dure le temps d’un songe. Sur le pavé, ils crèvent. Le rêve était leur seul trésor.
(p. 65).
Une histoire étrange, qui ne se laisse pas qualifier facilement, celle d’un homme qui se réveille à l’hôpital, couvert de bandelettes et sans mémoire de qui il est et de son passé. Il devra se réinventer et redécouvrir la ville dans laquelle il vit. Un cheminement étrange, entre réel obscur, sombre poésie et fantasmagorie triste.
Dans ce monde policé et étouffant, où les rêves sont des crimes et les espoirs une folie, quelle sera la portée de ce regard neuf, comment ce personnage qui a tout oublié d’avant se moulera-t-il ou pas dans ce monde si désespéré ?
Un livre où alternent texte et dessins, racontant l’histoire simultanément ou chacun à leur tour. Un livre plein de non-dits, qui ne délivre pas un message clair, mais où il est question d’identité, de liberté, de résistance aussi. Les images, qui chacune sont des huiles sur toile, sont pour une grande part dans la réussite de ce livre, illustrant et renforçant l’atmosphère d’oppression et de malaise et, malgré les murs, abolissant la frontière entre réel et imaginaire.
Je suis ressortie de cette lecture avec un petit vague à l’âme, et sans savoir où l’auteur voulait en venir. A conseiller à ceux qui s’intéressent à l’évolution récente de nos sociétés, et à ceux qui aiment les livres dessinés et de poésie, ce livre est les deux.

10raton-liseur
Bearbeitet: Jan. 21, 2012, 12:47 pm

3. Yaxin - Tome 1 - Le Faune Gabriel - Canto I - Dimitri Vey (Scénario) & Man Arenas (Scénario, Dessins)
C’est une île aux contours incertains.
Couronnée de forêts, peuplée de nymphes et de fées,
et de faunes aux manteaux ornés de gemmes de rosée.
C’est un rêve d’enfant qui revient nous hanter.
Un jour, nous reverrons ces rivages familiers.
Ces belles collines, et ces vertes vallées.
Et ces sentiers où nous nous sommes égarés.
(p. 63).
Un petit faune du nom de Gabriel, gentil petit ventre rebondi, pattes toutes de blanc poilues, des cornes en forme d’escargot crânement plantées sur la tête, des yeux qui s’étonnent de tout. Dans une île rêvée, sortie des légendes de Bretagne et d’ailleurs, dans des dessins d’une mélancolique douceur, le plus petit des faunes explore ce monde onirique, sous l’œil mi-bourru mi-amusé de Merlin.
Dans ce livre, les mots sont presque de trop, poésie légère mais sans grande originalité, elle n’est là que pour accompagner les dessins. De merveilleux dessins, qui allient à merveille un trait européen et une palette asiatique, avec ce petit faune tout mignon qui porte sur le monde un regard simple et pur, qui ne peut être que celui de la magie quotidienne, du simple bonheur de vivre et de s’émerveiller d’une fée, d’un renard géant ou d’un coquillage. « [Merlin,] tu m’apprends à lire et à écrire ? » (p.15).

Et puisque je dis que ce dessin est si beau, j’ajoute ici une citation visuelle : voici une des planches de cette bande dessinée, en page 6.

11raton-liseur
Bearbeitet: Jul. 18, 2012, 4:42 pm

4. La Charlézenn - Anatole Le Braz (Texte) & Christophe Rouil (Illustrations)
En Basse-Bretagne, les légendes poussent robustement comme en leur terroir naturel. (p. 27).
Cette nouvelle, tirée des Vieilles histoires du pays breton et illustrée ici d’un graphisme que je goûte peu, est inspirée d’une gwerze, une complainte bretonne, dont Anatole Le Braz donne une version romanesque et tragique.
Une fille libre, la Charlézenn, la Gaïdik aux cheveux roux et aux yeux couleur d’avril, inspire le désir et sème sans le vouloir le désarroi et la mort. Pureté innocente et instinct charnel, thème universel, histoire qui ne peut qu’être tragique. « La Charlézenn, qui sifflait fort, / En aumône a donné sa mort… » conclut la gwerze.
Histoire mystique sans dieu, elle fleure bon la culture bretonne et son syncrétisme propre, mais ce n’est probablement la meilleure histoire que nos grands-parents nous aient léguée.

12raton-liseur
Jan. 21, 2012, 12:40 pm

5. Terre Neuvas - Chabouté
Trente ans que je n’ai pas vu un arbre en fleur… (…)
Ça fait tellement longtemps…
… Tellement longtemps que j’ai pas vu un printemps au pays !!
(planche 20).
Chabouté demeure un très grand dessinateur. Pourtant, il me semble que ce sujet lui réussit moins que les autres bandes dessinées que j’ai lues de lui auparavant.
L’histoire est plus dans l’action, les dessins se doivent de traduire des gestes techniques et non plus des ambiances ou des sensations. Le résultat n’est pas à la hauteur de ce que j’espérais, et je suis un peu déçue par cet opus, peut-être en partie parce que je suis un peu familière avec l’histoire des Terre Neuvas et que, au lieu de la découverte, j’ai regardé le dessin des doris et de l’habillage des morues avec un œil critique, sans sentir les embruns sur mon visage ou le froid coupant sur mes mains.
Mes deux ouvrages préférés demeurent le magnifique Tout seul, qui m’a fait découvrir Chabouté, et les deux nouvelles de Quelques jours d’été. Malgré cette déception, due aux très beaux ouvrages auxquels Chabouté a habitué ses lecteurs, il reste très certainement un de mes auteurs de bande dessinée préférés et je continuerai à explorer les œuvres de lui que je ne connais pas encore et ses prochaines parutions.

13raton-liseur
Bearbeitet: Jul. 18, 2012, 4:43 pm

6. Les enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet - Le cadavre anglais - Jean-François Parot
Il se mit à rêver d’une monarchie paternelle relevant la vieille alliance entre le roi et son peuple et rétablissant l’équilibre entre les faibles et les puissants. (p. 244, Chapitre VII, “Anamorphose”).
J’avais entendu beaucoup de bien de cette série policière et, ayant envie d’un petit moment de détente, j’ai été contente de pouvoir emprunter ce livre par hasard.
Enquête policière plus embrouillée que palpitante, histoire d’un vertueux sur fond de disette et de montée de l’insatisfaction populaire (mais la Reine est la Reine, et quelles que soient ses pertes aux jeux, elle a le droit à une fidélité sans faille, seule la fidélité au Roi lui étant supérieure…), ce livre utilise le procédé habituel du prétexte d’une intrigue finalement assez légère pour nous faire découvrir la vie sous d’autres lustres. Parfois cela marche (j’ai suivi assidument les aventures de Tancrède le Normand*, écrites par Viviane Moore), mais ici, je n’ai pas accroché, au point d’avoir failli abandonner le livre.
Entre un royalisme aveugle qui n’empêche pas les courbettes courtisanes et des citations par trop lyriques qui coupent le récit même quand notre héros échappe de peu à la mort, le personnage n’a réussi qu’à m’insupporter et l’auteur qu’à me lasser avec son style trop précieux et ampoulé (se voulant probablement un reflet de l’époque, cela plaira peut-être à d’autres qu’à moi).
Il faut quand même signaler que ce livre est le septième d’une série qui en compte je crois huit pour le moment. Ayant commencé ainsi plus proche de la fin que du milieu, je n’ai peut-être pas la connaissance des personnages récurrents nécessaire pour les sentir assez familiers, et la rétrospective des vingt ou trente premières pages m’a révélé tous les rebondissements des tomes précédents sans m’apporter la nécessaire proximité avec le personnage. Je conseille donc à tout amateur de veiller à lire la série dans l’ordre, il en profitera peut-être plus que moi. Pour ma part, voilà un fin limier que je ne recroiserai pas de si tôt.

* Le premier tome de cette série s’intitule Le peuple du vent.

14raton-liseur
Bearbeitet: Jul. 18, 2012, 4:57 pm

7. Tout bouge autour de moi - Dany Laferrière
Certaines personnes parviennent à danser ainsi sur les braises. On les traite d’insouciants ou d’irresponsables sans savoir que ce sont pourtant des êtres d’une force d’âme exceptionnelle. S’ils ont traversé cette époque sanglante avec une humeur égale, c’est qu’ils estiment qu’on n’a pas besoin d’ajouter son drame personnel au malheur collectif. (…) Cette grand-mère, pas loin de moi, est en train de remplacer, dans la tête de son petit-fils, ces images horribles par des chansons et des mythologies qu’elle tire de sa mémoire vacillante. (p. 49, “La conversation du matin”).
En ce tout début de mois de février, presqu’exactement deux ans plus tard, le festival « Etonnants Voyageurs », dont la précédente édition avait été annulée pour cause de séisme, se tient enfin comme promis à Haïti. Revanche sur le sort aveugle ? Symbole d’une culture qui se réinvente alors que la reconstruction physique n’est toujours pas finie ? Le séisme a été au cœur de toutes les interventions, ressassement sans fin d’une élite intellectuelle traversée par cet évènement et dont chaque écrivain, chaque poète, à sa façon propre, s’interroge sur la répercussion de cet évènement dans son œuvre individuelle et dans la culture collective.
Entendant Dany Laferrière, célèbre auteur Haïtien exilé depuis longtemps au Canada, dans un de ces débats, j’ai voulu lire le livre qu’il a écrit sur l’évènement. Il était à Haïti, ce fameux 12 janvier, deux jours avant le début de ce festival dont il est vice-président et qui n’aura finalement pas lieu.

Ce livre n’est pas un roman. C’est une collection de souvenirs, d’impressions. Il explique lui-même qu’il a toujours un petit carnet noir sur lui, pour noter ses idées où qu’il soit et que, lors du séisme, il a écrit frénétiquement, pensant que, s’il était dans la bulle de son écriture, la mort ne pourrait l’atteindre. J’ai l’impression, en lisant ce livre d’ouvrir directement ce carnet noir, et les sensations brutes de cet homme, confronté à une catastrophe qui le prend au dépourvu. Comme disait un autre auteur (Yanick Lahens) dans ces mêmes débats, il faut faire œuvre littéraire, prendre le matériau du séisme et de sa cohorte de drame pour faire œuvre littéraire. On ne peut pas dire que le livre de Dany Laferrière est une œuvre littéraire. C’est un témoignage, le récit d’une personne qui était là, mi-étranger (il sera évacué par les Canadiens) et mi-homme du lieu dont la famille proche aura survécu.
Ceci posé, je peux dire ce que ce témoignage m’inspire, sans juger de la qualité littéraire du livre. Et je dois avouer que, passées les premières pages et la catastrophe elle-même, ce témoignage m’a surpris. Il me paraît étrangement froid, distancié, extérieur à ce qui l’entoure. La réconfortante odeur du café semble plus importante que les détresses qui l’entourent, comme s’il avait préservé autant que possible une vie normale dans le chaos qui l’entourait. Traversant la ville pour aller au restaurant quelques semaines après le séisme et voyant les tentes où s’entassent les gens qui n’ont plus rien « [il se] demande comment font les gens pour dormir dans la boue, chaque nuit. » (p. 79, “Un tremblement de corps”). Et il passe à autre chose, retourne à son quotidien sans s’appesantir plus sur la question. C’est comme si seul son drame individuel, sa capacité personnelle à assimiler l’évènement était la seule chose qui l’intéressait.
Qu’on ne s’y méprenne pas, je ne critique pas son attitude, je ne demande pas qu’il ait été un héros volant au secours de la veuve et de l’orphelin. Ce qui me dérange dans ce livre, c’est justement ce hiatus entre ce qui me semble le but avoué de ce livre, être un porte-parole de ce peuple haïtien qui relève la tête et fait face, et le contenu du livre, centré sur sa personne. Au final, les deux s’annulent pour donner un témoignage fade et, me semble-t-il, convenu. Des jolies phrases qui font mouches émaillent certes ce récit, mais pas assez pour transmettre ni l’émotion d’un homme ni celle d’un peuple.
« Pour Homère si les dieux nous envoient des malheurs c’est pour qu’on en tire des chants. » (p. 36, “Mon neveu”). Il aurait fallu choisir sa voix, ce livre n’a pas trouvé la sienne.

15raton-liseur
Feb. 5, 2012, 2:57 pm

8. Nocturne indien - Antonio Tabucchi
Qui sait (…) c’est difficile à savoir, moi-même, qui écris, je ne le sais pas. Peut-être cherche-t-il un passé, une réponse à quelque chose. Peut-être voudrait-il saisir quelque chose qui, autrefois, lui a échappé. D’une certaine façon, il se cherche lui-même. C’est-à-dire qu’en me cherchant, c’est comme s’il se cherchait lui-même : ça arrive souvent dans les livres, c’est de la littérature. (p. 114, Chapitre 12, Troisième partie).
Etrange petit livre, d’une quête dont on nous dira peu de choses, errance à laquelle l’auteur ne semble pas vouloir donner de sens. Comme pourrait le laisser penser le titre, est-ce un rêve tourmenté, des peurs qui chassent le sommeil ? Un petit roman énigmatique, emprunt d’« une indifférence mêlée de lassitude » (p. 84, Chapitre 8, Troisième partie), sur lequel le surprenant dernier chapitre apporte un éclairage inattendu. Mais, comme le dit un personnage, « cela se passait il y a très longtemps, hors du cadre de cette histoire. » (p. 114, Chapitre 12, Troisième partie).

16raton-liseur
Bearbeitet: Jul. 18, 2012, 4:58 pm

9. Mardochée - Kebir-Mustapha Ammi
Cette région est en effet périlleuse et je me serais bien gardé de l’emprunter. Mais c’est le vicomte qui choisit l’itinéraire et lui qui le modifie sans en référer à quiconque, et encore moins à son guide. (p.156, Partie II, “Imposture”).
Me voilà avec sur les bras un livre bien difficile à commenter, car je n’ai certainement pas la culture nécessaire. La vie et les idées de Charles de Foucauld me sont totalement inconnues, de même que l’histoire du Maroc pris dans la tourmente des appétits coloniaux dans la seconde moitié du XIXème siècle. Me voilà donc bien attrapée, avec ce livre acheté sur un coup de tête samedi dernier à cause de la photo, sur le bandeau littéraire, du personnage qui donne son nom au récit. Moi que d’ordinaire les bandeaux littéraires insupportent, me voilà bien attrapée, je le redis…
Une fois le décor posé et après avoir tourné autour du pot, il me faut bien rentrer dans le vif du sujet… Mardochée Abi Serour* fut, à cinquante ans, le guide de Charles de Foucauld lorsque celui-ci, jeune homme dissipé et patriote, quitta l’armée pour se lancer dans un voyage d’exploration dans un Maroc insoumis et fermé aux chrétiens. Un an plus tard, il en ramènera des informations que d’aucun jugent avoir été cruciales lors de l’établissement du protectorat français et un livre, Reconnaissance au Maroc qui établira la renommée de son auteur.
Explorateur sûr de sa supériorité et fier de lui-même (à l’image de la plupart des explorateurs, est-ce un trait de caractère nécessaire pour avoir la témérité de se lancer dans une telle aventure et la chance nécessaire pour en revenir ?), Charles de Foucauld passe sous silence la part que son guide a pris à la réussite de son voyage. C’est ce silence qui est à l’origine de ce roman, où le guide prend la parole pour raconter sa version des faits. Prémisses intéressantes, mais qui ne débouchent pas sur grand chose de concret dans ce livre. Certes, de Foucauld a la morgue caricaturale des Français et la supériorité attendue des chrétiens en terre étrangère. Mais n’est pas là un trait de l’époque ? Alors oui, certains propos prêtés à de Foucauld dans ce livre sont choquants à l’aune de notre ère post-coloniale. Mis dans la perspective de ce deviendra Charles de Foucauld, ils seraient intéressants si ce livre touchait la question du changement du regard, de l’abandon des préjugés, de comment ce voyage a changé la pratique de sa propre foi. Mais ceci n’est pas le propos de ce livre.
Et c’est là que le bât blesse. Si le propos de ce livre est de dénoncer l’arrogance des explorateurs, dont acte. Cela a été dit et redit, cela est connu, et ce livre n’apporte rien de nouveau, ni sur la forme ni sur le fond. Si le propos est autre, hélas, je suis passée à côté. Il y avait plein de questions intéressantes que j’aurais aimé voir soulevées, comme les tourments de celui qui se rend compte qu’à son insu il a livré son pays pieds et poings liés à l’envahisseur (seulement effleurés sur la fin). Ce livre, qui heureusement se lit assez rapidement, m’a donc laissée sur ma faim.

Post-scriptum : Intriguée par ce livre, j’ai trouvé une interview de l’auteur dans l’émission Cultures d’Islam sur France Culture (que l’on peut écouter jusqu’à présent à partir de ce lien). L’auteur, qui parle mieux qu’il n’écrit, explique que le principal sujet de son roman est le port de masques, le jeu avec les identités (Charles de Foucauld se déguise effectivement en juif pendant ce voyage). Je dois avouer que je suis complètement passée à côté de ce thème, mais que les invraisemblances de l’intrigue (les personnages croisés et recroisés aux plus improbables des moments) et ce qui m’a semblé être des attaques gratuites (comme l’amitié avec Pétain, compagnon de promotion à Saint-Cyr, donné comme un grand ami de de Foucauld. Est-ce condamnable, qui pouvait savoir ce que Pétain deviendrait alors qu’on est en 1883 ! Cette lourde insistance qui n’apporte rien à l’histoire m’a juste parue déplacée.) m’ont empêché de profiter de cette lecture que, malgré un thème a priori intéressant, je ne recommande pas.

* L’article Wikipédia en lien ici inclut, au moment de la rédaction de cette note de lecture, la fameuse photo de Mardochée Abi Serour qui est à l’origine de mon achat et de ma lecture.

17raton-liseur
Bearbeitet: Feb. 25, 2012, 6:50 am

10. Rendez-vous d’amour dans un pays en guerre - Luis Sepúlveda
Ne va pas imaginer qu’il s’agisse là d’un plan d’évasion. Non. Aucun de nous n’est assez idiot pour envisager une chose semblable. Il s’agit simplement de, comment dire ? d’un jeu fascinant contre l’adversité, un jeu dans lequel ce qui est véritablement important c’est de gagner la possibilité de continuer à rêver… (p. 151, “Actes de Tola”).
Omniprésente dictature, douce-amère résistance. Ce recueil de courtes nouvelles au titre nostalgique évoque tous les aspects de la résistance, celle de tous les jours, celle qui est lâche, celle qui se languit dans l’exode, celle qui rêve et celle qui meurt. Les rêves brisés qui continuent, l’espoir tué qui ne se résout pas à mourir.
Dans une seconde partie, il est plus question d’amour, moins de dictature, et il est étrange de voir le même fatalisme, la même résignation et le même espoir.

C’est peut-être un des livres les plus tristes que j’ai lus de Sepúlveda, mais il est aussi un des plus plein d’un espoir résigné mais tenace. C’est une leçon simple de sacrifice pour ses idées ou juste pour vivre. Une leçon qui ne lénifie pas, une leçon qui ne donne pas de leçon, chacun en titre ce qu’il veut, et pour moi ce sera peut-être de l’admiration pour cette force qui ne se dit pas et qui pousse chaque homme ordinaire à prendre sans s’en rendre compte, comme une évidence, la décision de courber l’échine ou de résister.
Les citations en exergue sont aussi très belles et donnent un éclairage supplémentaire aux nouvelles. Elles m’ont donné envie de découvrir d’autres écrivains, ce qui est rare pour moi après une simple lecture de citations. Peut-être pas le livre que je conseillerais pour une première lecture de Sepúlveda, il me semble que l’on profite mieux de ses nouvelles quand on connaît déjà ses thèmes de prédilection, mais très certainement un bon cru, au goût âpre et sucré d’un rhum ajouté de sucre de canne dans un retranchement rebelle de la forêt nicaraguayenne.

18raton-liseur
Bearbeitet: Apr. 4, 2012, 2:43 pm

11. Coco perdu - Essai de voix - Louis Guilloux
Une fois posé là bien tranquille devant un pastis, il vous revient toutes sortes de trucs qu’on croyait pas, tout un cinéma, on se laisse aller, on n’se sent plus responsable même de soi. On regarde, on pense à tout et à rien. On perd le fil, on le rattrape, celui-là ou un autre, on se rappelle des moments quand on était gosse, ou à la guerre, n’importe. Là-dessus voilà un type qui vous dit bonjour, on échange quelques mots et tout est cassé, mais ça fait rien, on regarde devant soi, y a du monde, il faut beau, on regarde et voilà le petit cinéma qui recommence. On se dit des trucs, on pense à la vie. On se dit qu’on a eu tort ou raison, on sait pas bien on se dit qu’entre-temps il y aurait eu autre chose à faire, on sait pas quoi. (…) Je sais bien faut pas nier la chance mais faut pas non plus toujours tout mettre sur le compte des circonstances. On y est bien pour quelque chose, quand même ? Est-ce qu’il y a encore des gens qui croient au Jugement dernier ? Je dis ça comme ça. Moi je peux pas y croire. C’est pas ma faute. (p. 82-83, Chapitre 8).
Monologue de deux jours d’un homme qui voit sa vie se déliter peu à peu. Retraite, retour en province, un ménage qui bat de l’aile. Deux jours qui sonnent comme le début de la fin, celle que l’on ne s’avoue pas, celle d’une vie sans relief.
Livre court, tout entier fait de la triste solitude d’un homme passé à côté de tout mais qui n’attendait rien d’autre de la vie. Une vie qui s’est déroulée comme une mécanique bien rôdée qui n’a jamais nécessité l’intervention de personne et qui s’achèvera dans la même indifférence qu’elle s’est déroulée.

Ce livre n’est pas le plus représentatif de l’œuvre de Louis Guilloux, cet écrivain breton et communiste du siècle dernier, mais il est le dernier roman qu’il a publié, deux ans avant sa disparition en 1980. Et le récit de cette fin inéluctable prend alors un autre relief. Il a l’amertume d’une vie qui s’en va sans s’être trouvé un sens, et, chose étonnante, il n’a pas la veine militante dont Louis Guilloux a fait preuve toute sa vie. Je pensais que le Coco du titre serait un communiste sur la fin, mais je n’ai aucune idée, après avoir refermé ce livre, des opinions politiques du narrateur, et c’est le coco pauvre type et non le coco rouge qui narre cette histoire depuis le seuil de la vieillesse.
Ce livre, sous-titré « Essai de voix » est à la fois une réflexion sur le temps qui passe et un timide essai stylistique pour sortir des conventions de la narration. S’il n’égale pas le grand chef-d’œuvre de Louis Guilloux qu’est Le Sang noir, et s’il semble dénoter parmi ses livres sur la grandeur ouvrière (Le pain des rêves) ou la lutte politique, ce court roman dévoile une facette de l’auteur qui ne m’était pas familière, plus humaine, plus résignée. Plus lucide peut-être aussi, une facette qui décrit les limites de la philosophie de l’absurde popularisée par Camus et dont Louis Guilloux est un précurseur.
Je referme ce livre avec la gorge serrée, quittant ce personnage dont je ne connais même pas le nom et qui me fait penser à mes grands-parents qui eux aussi reprenaient le chemin de leur ville de Bretagne pour prendre leur retraite. Serons-nous tous ainsi lorsqu’il nous sera donné de savoir que les années et les projets sont dorénavant derrière nous ? Donner un sens à sa vie, vivre sans regret, est-ce bien possible, est-ce bien raisonnable. Est-ce seulement possible ?

19raton-liseur
Bearbeitet: Mrz. 10, 2012, 3:21 pm

12. L’Oiseau bleu - Maurice Maeterlinck
La Lumière. – (...) Le Bonheur d’un enfant est toujours revêtu de ce qu’il y a de plus beau sur Terre et dans les cieux. (p. 110, Acte Quatrième, Neuvième tableau, “Le Jardin des Bonheurs”).
Qui de ma génération ne se souvient pas de ce dessin animé et de son générique qui me donnait des frissons. Quand je me suis aperçue, il y a peu et par hasard, que ce dessin animé était inspiré d’une pièce de théâtre d’un écrivain belge un peu obscur pour moi, bien que Prix Nobel en 1911, je me suis dit que je ne pourrai pas résister à une petite parenthèse de nostalgie.
Cette lecture n’a pourtant pas été le divertissement enfantin auquel je m’attendais. Il n’y a pas véritablement d’histoire, plus une succession de scénettes dont les mille décors chatoyants et la myriade de personnages m’ont fait pensé à la féerie du Casse-Noisette de Tchaïkovski. Les actes sont d’ailleurs divisés en tableaux et les indications scéniques prennent parfois plus de place que les dialogues, donnant à l’œuvre toutes les apparences d’un livret de ballet.

A la demande de la fée Bérylune, le frère et la sœur Tyltyl et Mytyl sont à la recherche de l’Oiseau Bleu, seul capable de sauver la fille de la fée. Ils voyagent alors de tableau en tableau, qui tous représentent un aspect de notre monde, et rencontrent les allégories de notre condition humaine (la Mort, la Forêt, les Bonheurs, l’Avenir). Grâce à un diamant magique, ils peuvent voir au-delà des apparences et découvrir la vérité des choses, leur âme qui leur parle.
Je suppose que chacun de ces tableaux pourrait faire l’objet d’une interprétation symbolique, mais je ne m’y aventurerais pas. Il est question du dualisme entre Homme et Nature, entre Raison et Ignorance. Si les scènes sont aussi colorées que celles d’un dessin animé japonais, elles créent souvent un univers inquiétant, parfois grinçant, celui d’enfants sur le point de s’éveiller à la complexité du monde.
Je goûte assez peu les œuvres hautement symboliques, encore plus lorsqu’elles mêlent un langage simple, voire simpliste, avec la promesse d’un sens profond caché. Le genre d’œuvre qui pourrait certainement faire l’objet d’une analyse psychanalytique dont on ne peut décider si l’analyse semble plausible ou non.
Je n’ai donc pas particulièrement apprécié cette pièce de théâtre, mais elle pose de tels casse-tête de mise en scène que ce doit être un défi passionnant et qu’elle doit être intéressante à regarder. A voir plus qu’à lire je pense donc, et je préfère me souvenir de ce refrain qui reste celui d’un bon souvenir d’enfance… : « Car très loin dans le ciel / Vivait l'oiseau bleu du Bonheur / Que l'on dit éternel / Pour ceux qui ont toujours un cœur. »

20raton-liseur
Bearbeitet: Jul. 18, 2012, 6:16 pm

13. La Chasse à l’opossum - Oscar Wilde
C’est véritablement étonnant, et je me demande par quel hasard, par quelle intuition, des sauvages d’un degré de civilisation infime ont pu découvrir [le boomerang,] un instrument à la fois si peu compliqué et d’une telle puissance d’action que toute la science moderne a peine à s’en rendre compte. (p. 23).
Euh… C’est quoi cette nouvelle ? Aucun intérêt, rien. Rien de l’ironie qui est tellement délicieuse chez Wilde, rien de son dandisme exaspérant. peut-être que dans un recueil de nouvelles ce texte passerait comme une erreur de parcours, mais publié seul ainsi, je m’interroge sur son intérêt et son sens. Est-ce un véritable souvenir de son voyage en Australie, mais alors quel est l’intérêt de cette scène de chasse. On est bien loin des souvenirs virils et brûlants de soleil d’Hemingway ou des observations sagaces de Gheerbrant.
J’attendais une petite distraction wildienne, j’ai eu une vingtaine de pages qui ne me laisseront aucun souvenir.

21raton-liseur
Mrz. 16, 2012, 11:33 am

14. Lettre à un otage - Antoine de Saint-Exupéry
Elle est douce, l’absence de l’enfant prodigue ! C’est une fausse absence puisque, en arrière de lui, la maison familiale demeure. Que l’on soit absent dans la pièce voisine, ou sur l’autre versant de la planète, la différence n’est pas essentielle. (…) Jamais fiancés n’ont été plus proches de leur fiancée que les marins bretons du XVIe siècle, quand ils doublaient le Cap Horn et vieillissaient contre le mur des vents contraires. Dès le départ ils commençaient déjà de revenir. C’est leur retour qu’ils préparaient de leurs lourdes mains en hissant les voiles. (p. 7, Chapitre 1).
Respect de l’homme ! Respect de l’homme ! Là est la pierre de touche ! Quand le Naziste respecte exclusivement qui lui ressemble, il ne respecte rien que soi-même ; il refuse les contradictions créatrices, ruine tout espoir d’ascension, et fonde pour mille ans, en place d’un homme, le robot d’une termitière. (p. 21, Chapitre 5).
En ouvrant ce petit opuscule de Saint-Exupéry, je m’attendais à trouver le pendant de Lettres à un ami allemand d’Albert Camus, deux cris humanistes adressés de part et d’autre de la ligne de front. C’est effectivement ce que l’on trouve dans la seconde partie du texte, tandis que la première moitié m’a plutôt fait penser à Citadelle, célébrant la beauté de la vie dans sa simplicité insondable, telle une maison ou un sourire. Ce livre est dans la droite ligne des écrits de Saint-Exupéry, ces phrases sans rugosité et d’une philosophie douce et sans complication qui décrivent si bien la vie, qu’elle soit aventureuse ou banale.
Son exaltation du voyage, qui ne nie pas, bien au contraire, le lien avec ses racines, sa famille, m’a beaucoup touchée, probablement parce que qu’elle me rappelle ma propre situation, vivant loin des miens, mais comprenant mieux d’où je viens, qui je suis et ce qui est important depuis que j’ai mis quelques kilomètres entre la France et moi. J’aime Saint-Exupéry quand il sait mettre des mots sur mes sentiments et qu’il exprime ce que je ne sais pas dire.

Ce texte, initialement écrit pour la préface du livre 33 jours dans lequel Léon Werth (celui à qui Le Petit Prince sera dédié) raconte à chaud sa fuite de Paris après la débâcle de 1940, a ensuite été remanié pour devenir un texte indépendant, où Léon Werth n’est plus mentionné mais représente le Français, juif de surcroit, otage dans son propre pays occupé par les Nazis.
Saint-Exupéry décrit sa vision de l’humanité, ou plus exactement des relations humaines, qui sous-tend son ralliement à la France libre, il condamne au passage les rivalités entre mouvements résistants et veut croire en des lendemains qui chanteront et où le sourire de l’ami sera à nouveau là pour éclairer ses jours. Ce texte est surtout un plaidoyer pour la tolérance et, plus même, pour le respect. J’ai été surprise de voir à quel point certaines phrases font écho à la situation actuelle. « Quand [l’homme] respecte exclusivement qui lui ressemble, il ne respecte rien que soi-même (…) et fonde pour mille ans, en place d’un homme, le robot d’une termitière. » (p. 21, Chapitre 5).
Mais puisque des hommes ont pu hier se lever contre le Nazisme, j’ose croire que d’autres se lèvent aujourd’hui pour refuser la frilosité et la peur de l’autre, et je veux finir sur cette phrase, qui est à la fois toute la simplicité et tout l’espoir de la philosophie de vie de Saint-Exupéry : « Nous nous rejoignons dans le sourire au-dessus des langages, des castes, des partis. (p. 20, Chapitre 4).

22Louve_de_mer
Mrz. 16, 2012, 12:10 pm

Décidément, j'aime bien tes critiques.

23raton-liseur
Mrz. 16, 2012, 2:42 pm

Merci Cathcartes, c’est gentil. J’aime les écrire, alors je suis contente qu’elles trouvent des yeux à qui elles plaisent !

24nisgolsand
Mrz. 20, 2012, 5:39 pm

Chère raton-liseur,
Je suis un vieux italien (milanais), intéressé surtout à l'histoire et je lis peu de "fiction". Vos critiques-analyses me permettent de me tenir au courant et quelque fois lire le livre décrit par vous.
Je regrette beaucoup l'absence d'une Librairie française, fermée depuis deux années.
Bien merçi en général et pour votre spléndide travail de présélection en particulier.

25raton-liseur
Mrz. 24, 2012, 11:40 am

# 24 - Bonjour Nisgolsand et merci beaucoup pour ce mot très gentil. Je suis contente que vous appréciiez ce qui demeure un passe-temps (un de mes passe-temps favoris, certes !). Venez de temps à autre nous faire part de vos lectures et de vos avis. Bonne continuation et bon vagabondage livresque !

26raton-liseur
Mrz. 24, 2012, 11:51 am

15. Une femme fuyant l’annonce - David Grossman
Que répliquer à un gamin de six ans, le petit Ofer maigrichon qui, un matin, pendant que vous l’emmenez à l’école à vélo, vous agrippe la taille et demande avec circonspection : « Maman, qui est contre nous ? (…) Qui nous déteste dans le monde ? Quels pays sont contre nous ? » Alors, bien sûr, désireuse de préserver sa vision innocente et dépourvue de haine de l’existence, vous lui rétorquez que ceux qui sont contre nous ne nous haïssent pas forcément, que nous sommes juste fâchés avec certains des pays qui nous entourent à propos d’un tas de choses, un peu comme ses petits camarades d’école qui se disputent, ou même se battent parfois. Ses petites mains crispées autour de votre ventre, il exige les noms des pays ennemis, et il y a une telle détermination dans sa voix, ses genoux pointus s’enfoncent si fort dans votre échine (…). (p. 432, Chapitre 7).
C’est d’abord le titre qui m’a attirée. Un titre étrange, antonyme de cet évènement qui changea la Torah en Bible, l’annonce faite à Marie. Opposition prolongée, et peut-être seulement apparente, par la randonnée en Galilée pour éloigner la mort, en écho à la marche qui aboutira à la naissance à Bethléem.
Pourtant il n’est pas question de religion ici, ni d’un énième livre pour nous expliquer de façon irréfutable où est le bon droit. On sait tous au fond que les sources de la légitimité à être sur une terre ou à être d’un peuple sont multiples, non hiérarchisables, et que seul le compromis est possible, qu’apprendre à vivre ensemble est la seule solution car personne n’abdiquera. David Grossman a des convictions politiques, qui ne sont pas celles de la majorité de ses concitoyens, mais ce n’est pas le propos de son livre, qui en Israël a connu un succès au-delà des clivages politiques.
Cette histoire est celle d’une femme qui, succombant à une superstition qu’elle se forge elle-même, essaye d’éloigner la mort qui veut lui prendre son fils en service militaire dans l’armée israélienne en partant loin de chez elle, loin de tout moyen de communication, persuadée qu’ « en se sauvant de chez elle le marché sera ajourné, même provisoirement, du moins le croit-elle – celui que l’armée, la guerre et l’État risquent de lui imposer sous peu, voire cette nuit même. Ce marché arbitraire qui l’oblige, elle, Ora, à accepter d’apprendre de leur bouche la nouvelle du décès de son fils, de sorte qu’elle leur prête main-forte pour mener le processus complexe et pénible à son terme logique, et, en validant cette mort, elle se fait en quelque sorte complice du crime » (p.115, Chapitre 3).
Pari fou contre la fatalité, la force d’une marcheuse contre les blindés de son propre pays, les blindés dans lesquels sert son fils Ofer, comme reproduisant à distance ce bras de fer de la place Tian Anmen qui avait ému le monde il y a quelques années*.
Il serait réducteur cependant de limiter ce livre à cette fuite en avant irrationnelle. C’est l’accroche, c’est ce que les critiques dans les magazines littéraires mettent en avant, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Et, pour ses digressions, son foisonnement, c’est un livre qui ne plaira pas à tous. Moi aussi cette profusion de thèmes m’a parfois agacée, voulant que l’auteur se concentre sur ce pour quoi j’avais entamé ce livre, ce que le titre me proposait. Il m’a fallu attendre le premier tiers, presque la moitié, du livre pour que je trouve enfin un rythme de lecture qui s’accorde avec tous ces thèmes, toutes ces directions parfois seulement effleurées, mais qui étrangement, par une construction apparemment chaotique mais très maîtrisée, forment un ensemble cohérent dont il se dégage une grande émotion, qui m’a fait par moments monter les larmes aux yeux.

Ce qui suit peut dévoiler involontairement certains aspects clefs de l’intrigue Les lecteurs voulant garder entière la découverte peuvent décider de ne pas aller plus loin...
A mon sens, la trame principale du livre n’est en réalité pas la peur d’une mère de perdre son fils, mais une histoire à la Jules et Jim (sachant que je n’ai ni lu le livre, ni vu le film). Un triangle amoureux, où l’état de guerre incessant s’inviterait comme quatrième personnage roue du carrosse ; une histoire d’amour où les figures du torturé brisé à jamais et du rescapé englué dans sa culpabilité brouillent les cartes et étouffent dans l’œuf tout espoir, toute prétention au bonheur. Pourtant ces trois-là restent unis, pris dans les rets d’une relation protéiforme qui hésite entre tendresse et culpabilité, devoir et espoir infondé.
Parce que les personnages choisissent de vivre malgré tout, ce livre est aussi celui d’une famille. Qu’est-ce que veut dire fonder une famille, élever des enfants, chercher bonheur et harmonie familiales quand la guerre est l’arrière-plan permanent, quand un enfant de six ans « fond soudain en larmes parce qu’il ne veut plus être juif, on nous tue tout le temps, on nous déteste » (p.435, Chapitre 7). Et, de déception en douloureuse prise de conscience, le livre finira par donner cette sensation dérangeante que dans ce pays, la survie de l’un se fait au détriment de celle de l’autre. Le couple Ilan / Avram est l’image du hasard insoutenable du doigt du destin, qui mourra qui sera épargné. Plus déroutant, le couple Ofer / Avram est celui du retour à la vie parce que l’autre est en danger, mourra peut-être. Macabres vases communicants.

Le livre ne répondra pas à tous les non-dits de ce trio amoureux, de cette famille, de ce pays. Mais, au prix d’une écriture qui semble rester floue sur les principaux aspects pour se perdre dans les détails d’une vie qui essaie tant bien que mal de tendre vers la normalité, il retrace la fuite en avant non pas d’un Etat ni d’un peuple, mais d’individus. Des individus pétris de contradictions, tiraillés sans fin entre leurs espoirs ou leurs illusions et une vie qui s’accommode du pire, entre refus et résignation.

Alors, au détour d’une phrase qui nous fait toucher à nous qui ne connaissons pas ces situations de conflits quotidiens, un salut à tous les Ofer dont une part d’enfance a été volée par la réalité sordide des joutes géopolitiques ; à tous les Avram dont on a volé le fond pour ne garder qu’une forme sans avenir ; à tous les Ilan qui portent la culpabilité du survivant. Et puis à toutes les Ora, qui, contre toute raison, continuent à porter et à passer le flambeau.
Et surtout, quel qu’aient été votre camp, votre cause ou vos chimères, sobre salut à vous tous, les Uri (1986-2001) que ce monde a fauchés au seuil de votre avenir.

* Je fais référence à la célèbre photo prise lors des manifestations de la place Tian Anmen en 1989 (Associated Press). On la trouve sur le site du photographe, Jeff Widener.

27raton-liseur
Mrz. 28, 2012, 4:36 pm

J’ai fini La Guerre et la Paix il y a presque un mois maintenant, mais il m’a fallu quelques semaines pour digérer cette lecture au long cours et écrire ma note de lecture. Elle est un peu longue, je m’en excuse par avance. Je promets de revenir à des notes de lecture plus raisonnables après cela !

28raton-liseur
Mrz. 28, 2012, 4:43 pm

16. La Guerre et la Paix - Léon Tolstoï
Tome 1/2 - La Guerre et la Paix 1
Tome 2/2 - La Guerre et la Paix 2

On dit pudiquement de ces livres que ce sont des monuments de la littérature. Ces livres qui sont dans toutes les bibliothèques, dont on a tous entendu parler, mais que l’on n’a pas lus et qui font un peu peur. Ils sont certes intimidants ces deux gros volumes, surtout aujourd’hui où l’épaisseur des livres à succès est plus proche de la longue nouvelle que du roman…
J’ai donc pris mon courage à deux mains, pour un livre dont je connaissais bien peu de choses : la campagne napoléonienne vue du côté russe, mes connaissances préalables s’arrêtaient là. Et je ne regrette pas de m’être enfin jetée à l’eau et d’avoir lu au long cours ce livre qui emprunte à tous les genres !

La légende veut que le titre de la traduction soit sujet à polémique, non pas seulement pour savoir s’il faut y inclure des articles ou non, mais parce que le mot russe que l’on traduit par « paix » (sur les instructions de Tolstoï lui-même semble-t-il) a un double sens en russe, signifiant autant « paix » que « peuple ». On pourrait donc aussi bien enseigner dans les écoles « La guerre et les gens ». Un titre moins accrocheur, mais qui me semble une clef de lecture intéressante.
« La guerre et les gens », c’est l’illustration de la construction duale du livre. Ce sont « les gens », les Rostov, les Bolkonsky, toute une galerie de personnages, pris dans le tourbillon des évènements historiques, les subissant, ou y prenant part, parfois cherchant même à les influencer, et c’est « la guerre », une dissertation hélas poussive et répétitive sur les méthodes de l’analyse historique. Lorsque la ligne romanesque (« les gens ») est prépondérante, comme dans la première moitié du livre, la lecture est passionnante. Elle devient plus difficile quand la dissertation historique (« la guerre ») prend le pas sur la fiction, et finit même par l’étouffer.
J’ai d’autant moins aimé cette sorte d’essai sur l’histoire (ou pour être plus exacte sur l’historiographie, qui est quelque chose qui me fascine pourtant) que le ton en est à la fois pédant et polémique. Son argumentation est remplacée par un soi-disant bon sens qui ne passe pas l’épreuve de l’analyse ou à une distorsion des faits tellement évidente que j’ai l’impression qu’on me prend vraiment pour plus bête que je ne suis… Ce genre de discours lénifiant, qui trouve ses échos chez certains de nos politiques actuels, m’a fait parfois pensé aux exécrables pseudo-justifications des Confessions de Rousseau, ce qui n’est pas bien haut dans mon estime livresque… Il ne m’aurait pas déplu que le livre soit amputé de certaines de ces longueurs, ce qui aurait réduit let livre de près d’un tiers de lecture inutile et répétitive.
Je suis peut-être un peu injuste tout de même, il y a des éléments intéressants dans les ratiocinations de Tolstoï ! Sa vision déterministe de l’histoire, concluant que les décisions individuelles n’ont aucune influence sur des évènements qui devaient inéluctablement arriver, m’a donné à réfléchir, même si je ne suis pas Tolstoï jusqu’au bout de son raisonnement qui finit par transformer l’histoire en une sorte de futur écrit à l’avance, d’autant que celui-ci est peu étayé et finit par ressembler plus à une obsession d’auteur qu’à une démonstration.
Par contre, je souscris à cette idée qui était probablement neuve à l’époque et n’est guère partagée aujourd’hui, selon laquelle l’histoire qui s’écrit est la somme imprévisible de milliers de décisions individuelles et que ce ne sont pas les rois et autres grands hommes qui écrivent l’histoire (Tolstoï fait une analogie parlante avec la fonction d’intégration en mathématique. Il l’utilise pour la durée, mais elle pourrait aussi illustrer cette intégration de choix individuels qui créent les conditions d’un évènement).

Et surtout, il y a l’autre partie, cette grande fresque romanesque qui s’étend sur près d’une décennie, des prémisses d’une invasion napoléonienne glorieuse à la déroute humiliante de la suivante (en 1805 ce sera Austerlitz, en 1812 la Berezina). Dans ce tourbillon historique, des aristocrates russes se croisent, des liens se nouent et se dénouent, de bals en champs de bataille. Et sur cette scène de théâtre, ce sont toutes les expériences, tous les espoirs et toutes les désillusions de la vie qui défilent, toute la complexité des sentiments humains et des relations sociales qui se révèlent aux yeux du lecteur, non sans rappeler parfois un projet ambitieux à la Rougon-Macquart, même s’il semble que ce soit plutôt Les Misérables, que Tolstoï a lu peu de temps avant d’entreprendre l’écriture de ce livre (un projet qui lui a pris plus de dix ans, ainsi qu’à sa femme qui a copié et recopié je crois pas moins de sept fois le manuscrit !), qui aurait inspiré sa plume (l’entremêlement d’une histoire individuelle et d’une réflexion plus générale se retrouve d’ailleurs effectivement dans de nombreux livres de Victor Hugo).

Les personnages évoluent beaucoup au cours du roman, modifiant leur comportement ou leur vision de la vie au gré de leurs expériences et de leurs erreurs, leur trajet s’apparentant à une quête de sens. Les deux personnages d’André Bolkonsky et de Pierre Bezoukhov sont au centre de cette fresque. Beaucoup ont vu dans ces hommes que lie une profonde amitié malgré leur antagonisme profond deux facettes de la personnalité de Tolstoï lui-même. D’un côté Pierre, si gentil, si généreux qu’il en devient faible et manipulable à souhait, qui se perd dans l’enthousiasme de ses idéaux mais qui a l’inconstance d’un enfant qui se lasse vite de ses jouets trop rutilants, révolution française puis franc-maçonnerie puis patriotisme puis… De l’autre, André, toujours froid et hautain, hermétique à la frivolité de la société parce que seul ses principes moraux et le sens du devoir lui semblent dignes de lui. Mais ce personnage lunaire et pessimiste et ce personnage solaire et toujours heureux ont en commun un questionnement incessant sur le sens de la Vie, sur l’idée de Dieu, sur l’apprivoisement de l’idée de la Mort, à l’image de Tolstoï lui-même, qui oscilla toute sa vie entre mysticisme et athéisme, entre sa naissance aristocratique et son ascétisme.
De ces deux facettes de Tolstoï lui-même, c’est du personnage d’André Bolkonsky que je me suis sentie la plus proche. Comprenant les futilités des conventions sociales, c’est entre les deux campagnes napoléoniennes qu’il est le plus attachant, comme un héros de Camus avant l’heure, ayant réaliser la vanité de la vie sociale et ne vivant que pour lui-même, heureux de plaisirs simples mais exigeants. Il se laissera cependant emporter dans une nouvelle campagne militaire, où le patriotisme puis le mysticisme l’éloigneront de moi mais le rapprocheront certainement du cœur de Tolstoï.
En définitive, le parcours des personnages n’impose pas une réponse qui aurait une valeur universelle aux grandes questions de l’existence, puisque, si Tolstoï a plus d’affection pour certains de ses personnages, il leur permet toutes les croyances et tous les choix, comme son le roman de « La Guerre et la Paix » s’amusait à contredire l’essai « La Guerre et la Paix » . Il est seulement réconfortant de savoir que tous, à leur façon, trouveront l’apaisement dans l’épilogue.

En conclusion, voici un livre plein de contradictions, entre fierté patriotique et individualisme, entre sens de l’Etat et sens de la famille, entre libre-arbitre et déterminisme, et tant d’autres contradictions apparentes dont nous passons chaque jour de notre vie à résoudre. C’est un livre où chacun peut se retrouver, un livre à l’image du bouillonnement bien peu rationnel de la vie. Il y est question de guerre bien sûr, de petits accommodements avec la morale, mais il contient aussi de très belles pages sur le fait de tomber amoureux ou sur la recherche de sens.
Pour moi, ce livre est la découverte d’un auteur que je n’avais encore jamais lu, un auteur complexe, parfois daté (le sexisme de ses dernières pages est horripilant de bons sentiments mal venus) mais dont la vision demeure intéressante et que j’espère continuer à découvrir dans d’autres ouvrages, où il se fera Pierre ou André, ou plus probablement un peu des deux.

PS : Je ne peux m’empêcher d’ajouter une note sur l’édition de poche folio. Je n’ai en effet jamais vu un livre avec autant de coquilles, au point qu’elles en ont gêné ma lecture ! Je ne la conseille vraiment pas et j’espère que les éditions concurrentes ne négligent pas autant la relecture de leurs épreuves !

29raton-liseur
Mrz. 29, 2012, 4:30 pm

17. Angela’s Ashes - A Memoir of a childhood (Les cendres d’Angela) - Frank McCourt
It is said there were no fleas in ancient Ireland, but they were brought in be the English to drive us out of our wits entirely, an’ I wouldn’t put it past the English. An’ isn’t it a very curious thing that St. Patrick drove the snakes out of Ireland an’ the English brought in the fleas. For centuries Ireland was a lovely peaceful place, snakes gone, not a flea to be found. You could stroll the four green fields of Ireland without fear of snakes an’ have a good night’s sleep with no fleas to bother you. (p. 60-61, Chapitre 2).*
Les souvenirs d’une enfance irlandaise pauvre au début du XXème siècle à Limerick, une ville industrielle sur le déclin. Ce livre a connu un grand succès et a même été adapté au cinéma. Pourtant, il m’a laissée de marbre. Si ce n’était pas le seul livre que j’ai sous la main, sans librairie à plusieurs centaines de kilomètres à la ronde, je crois bien que je l’aurais laissé de côté…
Le style est factuel, très sec, probablement à dessein, pour créer une distance pour faire pleurer dans les chaumières tout en se donnant un air de « je ne veux surtout pas me plaindre »… Cette litanie de souvenirs (dont certains sont probablement reconstitués, se souvient-on si bien de ses quatre ans, même miséreux ?) juxtaposés par ordre chronologique et souvent répétitifs, sans créer ce que les sociologues appellent un récit de vie m’a laissée indifférente, je n’ai pas pu éprouver une seule once d’empathie pour les personnages.
Alors bien sûr, on voit à l’œuvre la cruauté des mieux nantis (l’épisode de la pelure de pomme est particulièrement ignoble je trouve), la facilité de l’alcool, la perte de l’estime de soi (mais heureusement, il y a toujours plus mal loti, toujours la possibilité d’une humiliation supplémentaire) mais j’ai de loin préféré L’Etoile des mers** de Joseph O’Connor. Certes, c’est un roman et c’est plutôt l’Irlande rurale du XIXème siècle qui y est décrite, pas tout à fait le même contexte (on est en plein cœur de la Grande Famine ; les Pâques sanglantes et la partition de l’Irlande ne sont pas encore passées par là), mais L’Etoile des mers a été un régal de lecture, tant par son écriture et sa trame que par ce que j’y ai appris.

* Tentative de traduction personnelle : « On dit qu’il n’y avait pas de puces dans la vieille Irlande, mais qu’elles furent amenées pa’ les Anglais pour nous rendre dingues, ben ça m’étonnerait pas des Anglais. Eh, c’est pas bizarre que Saint Patrick ait chassé les serpents d’Irlande et que les Anglais aient amené les puces ? Pendant des siècles, l’Irlande a été un endroit paisible et agréable, pas de serpents, pas une puce. On pouvait s’promener dans les champs verts d’Irlande sans avoir peur et avoir une bonne nuit de sommeil sans puces pour vous emmerder. »

** Le lien automatique vers L’Etoile des mers ne fonctionne chez moi que sous son titre en anglais. Le voici donc : Star of the Sea.

30raton-liseur
Apr. 4, 2012, 11:11 am

18. Sous l’orage (Kany), suivi de La mort de Chaka - Seydou Badian
vous avez tord de vouloir tout laisser tomber. Vous avez tort d’essayer d’imiter les Européens en tout. Comprends-moi bien. L’homme européen n’est qu’un des multiples aspects de l’homme. On ne vous demande pas d’être Européens. On ne vous demande pas de vous défigurer. (…)
Il n’est pas question pour vous de fuir votre milieu. Cherchez plutôt à agir sur lui. (…)
Il ne s’agit pas évidemment de tout accepter. Mais faites un choix. Les coutumes sont faites pour servir les hommes, nullement pour les asservir. (…)Si vous aimez réellement votre peuple, si vos cris d’amour n’émanent pas d’un intérêt égoïste, vous aurez le courage de combattre toutes ses faiblesses. Vous aurez le courage de chanter toutes ses valeurs.
(p. 142-143, Chapitre 20).
Publié en 1957, soit à peine trois ans avant l’indépendance du Mali, Sous l’orage est le premier roman de Seydou Badian, auteur de l’hymne national et futur ministre de l’économie. Considéré comme un classique, étudié dans de nombreuses classes de collège au Mali et dans les pays voisins, il fait s’affronter, autour de la question emblématique du mariage, les valeurs traditionnelles de la société et les aspirations au changement véhiculées par l’école des Blancs.
« Ce jour-là, le père Benfa s’était levé plus tôt que de coutume. Il était debout avant les premières lueurs de l’aube. Rien dans la cour ne bougeait. Seuls, de temps en temps, bruissaient les feuilles du petit manguier, non loin du puits. » (incipit, p. 13, Chapitre 1). Croquant en quelques mots qui sonnent juste les paysages et les gens, le livre met en scène Kany, jeune fille instruite qui rêve d’épouser le camarade d’école dont elle est amoureuse, alors que son père la voit devenir la troisième épouse d’un gros marchand.
Dans son style simple et personnel, français châtié mâtiné de mots et d’expressions locales, Seydou Badian fait de fable vieille comme le monde la parabole d’une Afrique à la veille des indépendances. Prise dans une histoire aux rebondissements peu artificiels mais somme toute plausibles qui nous permettent un court instant d’apercevoir les différentes facettes du pays, de la ville naissante aux rivages du Djoliba (le nom chantant du fleuve Niger en Malinké), Kany devient la nation malienne naissante, courtisée par les valeurs traditionnelles incarnées par les anciens et les valeurs importées par les colons.
Malgré l’apparente simplicité de l’intrigue, Seydou Badian ne tombe pas dans la facilité et complexifie peu à peu son propos pour nous amener vers une troisième voie, incarnée par le personnage énigmatique et philosophe de Tiéman, qui a fait la guerre sur le sol européen et qui a ensuite choisi de rester dans son village où il est infirmier dans un dispensaire que l’on imagine sans grands moyens.

Cinquante plus tard, ce livre reste d’une grande actualité, même si j’y ai peut-être lu plus que ce que l’auteur avait voulu y mettre. D’abord, sa réflexion sur la mutation des sociétés colonisées puis décolonisées me paraît toujours pertinente. Alors que les états peinent toujours à devenir des nations, alors que les lanternes de la démocratie sont en passe de devenir des vessies, la fin heureuse de cette courte parabole se fait encore attendre dans la réalité. Comment, sans tomber dans un relativisme culturel qui conduirait à l’immobilisme, reconnaître et faire cohabiter des systèmes de valeurs différents, comment créer un monde multi-polaire qui respecte l’identité et le libre-arbitre de chacun.
Ensuite, bien que la question de la mutation identitaire ne se limite plus aux anciens pays colonisés mais gagne maintenant l’homme blanc qui croit toujours porter le même fardeau, ils sont bien rares les Tiéman qui acceptent qu’une culture est certes un héritage mais qu’elle n’est pas statique et se doit de se laisser pénétrer d’autres influences, en les triant, en les remaniant, en les phagocytant et les faisant siennes. La culture n’est pas immuable, celle d’aujourd’hui n’est ni celle de nos parents ni celle de nos voisins, mais elle tient un peu de tout cela et de notre petit grain de folie personnel.

Je referme ce livre plein d’une poésie simple et d’un espoir léger pour les lendemains de l’indépendance avec un pincement au cœur. Je suis dans un avion qui s’envole de Bamako, et je me demande, dans ce pays dont le destin vient de basculer en dix jours, où sont les Tiéman de la raison. Et en me posant à Paris, en trouverai-je des Tiéman pour nous aider à créer ce demain qui réconciliera plus qu’il n’opposera les richesses des différentes façons d’être de ce pays.
J’ai au moins ce petit livre acheté dans une librairie de Kayes, ce petit éclat d’espoir, en espérant que les enfants d’Afrique continuent à l’étudier, et en me disant qu’on pourrait aussi le mettre au programme des lycées au Nord de la Méditerranée, pour qu’enfin une histoire partagée soit possible.

31raton-liseur
Apr. 30, 2012, 3:21 pm

19. La Caravane - Galsan Tschinag
La steppe de Gobi devient leur yourte et, peu à peu, ils s’accoutument au sable jaune clair et froid qui pénètre par tous les pores. Le matin au réveil, ils se retrouvent recouverts du sable apporté par le vent. Pour s’en débarrasser, ils doivent se frotter les yeux et les oreilles, tapoter leurs vêtements et secouer leurs bottes. Quand ils boivent du thé, il reste une couche de sable au fond de leur bol, et leurs dents crissent lorsqu’ils mâchent de la viande ou du fromage séchés. Ils prononcent désormais le mot sable avec autant de respect qu’ils pensent et disent d’ordinaire pierre ou glacier. (p. 71, Chapitre 8, “L’histoire s’infiltre dans le sable et le froid”).
J’ai lu quelques livres de Galsan Tschinag, nouvelles ou récits de son enfance touva dans les grandes steppes mongoles, et, fiction ou réalité, j’ai toujours aimé son ton sobre, cette sorte de nostalgie résignée qui rend poignante la simplicité de ses récits.
J’ai donc ouvert La Caravane sans trop réfléchir, pensant y retrouver l’auteur que j’aime. Mais ce récit est bien différent. C’est l’accomplissement d’une promesse que s’était faite Galsan Tschinag, celle de ramener son peuple exilé par les vicissitudes du communiste Mongol sur ses terres, pour y vivre à nouveau selon ses traditions nomades. Galsan Tschinag se mut alors en organisateur d’expédition, en acheteur de dromadaires et en berger pour son peuple.
En berger surtout, et c’est ce qui m’a dérangé dans ce livre où l’auteur, parlant de lui à la troisième personne, se donne le rôle de patriarche débonnaire ou sévère, redresseur de tort et ayant toujours raison. Un rôle qui ne sied pas à l’image que je me fais du personnage et qui me le rend bien antipathique. J’espère qu’il n’a pas pris la grosse tête comme l’on dit, mais je crois que je vais rester pour un temps sur les œuvres qu’il a écrit plus tôt dans sa carrière, et je préfère conseiller Le monde gris ou Belek à ceux qui ne connaissent pas cet écrivain.
Je tiens seulement à préciser, avec de mettre un point final à cette note de lecture, que, bien que je n’ai pas aimé l’angle ni le style du récit, j’ai beaucoup appris sur les Touvas. Je n’aurais jamais imaginé qu’il existe, aux confins glacés de la Mongolie, un peuple turcophone, minorité exotique dans ce peuple déjà si étrange à nos yeux que sont les nomades des déserts froids. Le livre semble accompagner un reportage sur la caravane qu’a monté Galsan Tschinag pour retourner sur le territoire traditionnel des Touvas. Si je parlais allemand (pays d’adoption de l’auteur, où il connaît un bien plus grand succès qu’en France), je crois que je tenterais de regarder ce film et que je le conseillerais plutôt que ce livre.

32raton-liseur
Mai 3, 2012, 5:15 pm

20. Je suis une légende - Richard Matheson
Désormais, le temps se réduisait pour lui à la seule dimension du présent, un présent tout entier fondé sur la survie, ignorant les sommets de la joie comme les abîmes du désespoir. (p. 159, “Juin 1978”, Chapitre 15).
Il a fallu de nombreuses péripéties avant que je ne me décide à ouvrir ce livre. Tout commence avec un film que j’ai vu sans savoir qu’il était tiré d’un livre et que je n’ai pas aimé, voyant toutes les questions qu’il soulevait et ignorait. Puis j’ai vu le livre et la couverture intrigante de l’édition folio, cette statue qu’on devine d’une beauté parfaite, aujourd’hui défigurée et rongée par le lichen. Mais décidément la déception du film était trop forte et je craignais de répéter l’erreur de La route, où j’ai trouvé le film pas mal puis le livre beaucoup moins bien que son adaptation. Il m’a fallu lire une critique positive il y a quelques semaines pour me décider et pour finalement acheter ce livre avant que les couvertures pré-Will Smith ne disparaissent des librairies (je ne sais trop pourquoi mais je déteste les couvertures reprenant les affiches de film. Je n’ai toujours pas lu Minority report à cause de cela et il n’y a qu’une exception à la règle, c’est Le Hussard sur le toit, pour une raison que je ne m’explique pas).

Le sujet est passionnant. Que faire lorsque l’on est le dernier homme, que l’on sait que l’espèce s’éteindra avec soi, que disparaîtront notre histoire et notre culture ? Qu’a ressenti Néandertal quand il a réalisé que Cro-Magnon le supplanterait à jamais (je m’excuse pour ce raccourci qui ne respecte pas les théories actuelles, mais l’image est là) ? Et pourquoi notre vision écologiste est-elle de vouloir préserver notre milieu pour que l’homme continue à exister ? Nous avons, semble-t-il, dépassé notre demi-vie et la terre sera peut-être mieux sans nous une fois que nous nous serons auto-détruit. Voilà les gaies pensées qui m’animaient quand j’ai ouvert ce livre, voilà ce que je voulais lire.
Et le livre est bien dans cette veine, il pose toutes ces questions, à travers la vie d’un homme, Robert Neville, américain moyen à qui il échoit le triste privilège d’être le seul survivant d’une épidémie qui a transformé les hommes en vampires. Là où les vampires ont vécu pendant des siècles à la marge de la société humaine, les rapports s’inversent et Robert Neville est aujourd’hui seul contre tous les autres. Pourquoi lutter quand l’espoir n’est plus là, que signifie survivre quand il n’y aura plus jamais rien d’autre. Robert Neville n’est le dernier que par pur hasard, mais il s’accroche à cette vie sans lendemain, sans véritablement comprendre lui-même pourquoi.
Dans un récit très bien construit, constitué de quatre épisodes étalés sur trois années et mêlant à bon escient présent et retour sur le passé, Matheson livre par petites touches le portrait d’un homme seul qui s’installe peu à peu « dans un monde où l’horreur constituait la norme » (p. 146).

Ce qui suit peut dévoiler directement ou indirectement certains aspects de l’intrigue. Les lecteurs voulant garder entière la découverte peuvent décider de ne pas aller plus loin...
Quatre épisodes comme quatre étapes : refus de la réalité, puis résignation, suivie d’un sursaut et d’un effort désespéré pour agir et sauver le monde et enfin, comment dire, réalisation, acceptation ? Toutes les questions sont là et remettent l’homme à sa place dans une histoire qui n’est plus anthropocentrique.
Tout est là, toutes les questions, et quelques éléments de réponse distillés ça et là par Matheson. Les questions sont ouvertes, les réponses sont tout au plus suggérées. Un livre qui vaut la peine d’être lu, mais auquel il manque ce petit quelque chose pour vraiment en faire un bon livre. Peut-être suis-je trop dure dans mon jugement, ayant placé la barre trop haut après avoir lu de nombreuses critiques outrageusement positives ces derniers temps. Je me suis souvenue des vampires de l’adaptation cinématographique, ce qui a rendu les scènes de nuit bien plus terrifiantes ; j’ai réussi après quelques efforts à oublier Will Smith pour laisser à Robert Neville toute sa place ; je n’ai pas même été dérangée par les invraisemblances de l’histoire (comme la facilité d’approvisionnement dans les réfrigérateurs des morts, les déductions scientifiques basées sur quelques lectures scientifiques hâtives…) qui font de ce livre non pas une histoire mais une parabole invitant le lecteur à suivre les pistes de réflexions ouvertes plutôt que les détails pratiques de l’intrigue. Pourtant, malgré tout cela, je suis restée sur ma faim. Peut-être parce que, malgré toute la crédibilité du personnage et un darwinisme qui se retourne contre l’espèce qui a inventé ce mot, ni Matheson ni aucun autre ne sait (pour l’instant) ce que fera celui qui, un jour, sera une légende.

33raton-liseur
Mai 7, 2012, 8:07 am

21. Les cœurs purs - Joseph Kessel
Malgré ses craintes, elle aimait la triste douceur de leurs promenades. Ils allaient sans but, parlant peu. Et qu’auraient-ils eu à se dire après une si longue vie et si mêlée ? Clairs tous les deux, sans réticence ni secret, ils n’étaient que le prolongement l’un de l’autre. Mais tout leur amour, loyal, profond, jamais discuté, marchait à côté d’eux, de ses pieds invisibles, sur le gazon des jardins qu’ils préféraient. (p. 148, “Le thé du comte Sogoub”, Chapitre 1).
Les cœurs purs contient trois nouvelles qui décrivent trois personnages purs non par leurs vies, mais purs de par l’entièreté de leurs sentiments et par l’adéquation de leurs actes avec ces sentiments. Intéressant prémisse, qui correspond bien à ce que j’imagine du tempérament de Kessel. Hélas, j’ai finalement été assez déçue par l’ensemble, en particulier par la violence de la seconde nouvelle, qui m’a écœurée sans que je comprenne l’intention de l’auteur.
Il faut véritablement être un inconditionnel de Kessel pour trouver un intérêt à ce livre, me semble-t-il. Sinon, mieux vaut passer son chemin et s’attarder sur d’autres œuvres qui me paraissent meilleures. Parmi ses nouvelles, notamment, je me souviens des très courts Contes et de La Steppe Rouge, qui m’avaient bien plus plus et qui rendent meilleure justice au conteur Kessel.

34raton-liseur
Bearbeitet: Mai 7, 2012, 12:10 pm

22. L’homme qui plantait des arbres - Jean Giono
Il avait jugé que ce pays mourait par manque d’arbres. Il ajouta que, n’ayant pas d’occupations très importantes, il avait résolu de remédier à cet état de fait. (p. 22, Chapitre 1).
Quand on se souvenait que tout était sorti des mains et de l’âme de cet homme, sans moyens techniques, on comprenait que les hommes pourraient être aussi efficaces que Dieu dans d’autres domaines que la destruction. (p. 31, Chapitre 2).
Il ne faut que quelques pages à Giono, un paysage qui refleurit et un personnage aux dimensions mythologiques pour nous entraîner au-delà de nous-mêmes et poser l’air de rien les questions les plus fondamentales. On retrouve le style simple et direct qui fait la patte de Giono, mais j’ai peu apprécié le caractère un peu trop naïf du propos. S’il suffisait de planter des arbres pour faire revenir l’eau et la vie, l’écologie serait bien plus simple, tant dans la Provence chère à Giono qu’ailleurs.
Ce livre doit, me semble-t-il, être pris comme une allégorie, qui veut nous pousser vers l’essentiel, mélange d’écologie et de pacifisme, les deux valeurs cardinales de Giono. Puisqu’il est classé, étrangement, en littérature jeunesse, peut-être est-il un bon point de départ pour des discussions avec des enfants sur les directions que prend notre société…

Il est intéressant de noter que (selon les informations de l’article de Wikipédia) cette nouvelle, écrite en 1953 (en réponse à un concours américain qui ne la sélectionnera pas du fait du caractère fictionnel du personnage) a été publiée dans la foulée aux Etats-Unis, alors qu’il faudra attendre 1973 pour qu’elle soit disponible en France, de façon presque concomitante avec la première candidature écologiste aux élections présidentielles, celle de René Dumont qui a probablement lu Giono dans ses jeunes années.

35raton-liseur
Mai 7, 2012, 12:16 pm

23. La Bibliothécaire - Gudule
Combien y a-t-il de livres, ici ? Dix mille, cent mille, un million ? Une odeur de vieux papier, à la fois âcre et doucereuse, émane du fantastique amas d’ouvrages, dont certains ont plus d’un siècle. Couvertures de cuir, de tissu, de carton, aux tranches dorées ; parchemins roulés ; éditions rares et volumes populaires pleins de naïves illustrations ; tout le savoir du monde semble rassemblé ici. (p. 22, Chapitre 2).
Ah, n’est pas Thursday Next* qui veut, il n’est pas donné à tout le monde de savoir voyager dans les livres. C’est peu dire que ce livre m’a déçue. J’espérais un joli livre sur les bibliothèques, sur le bonheur de lire, j’y ai à peine entrevu des lecteurs et suis passée de rebondissements en rebondissements avec le même enthousiasme qu’une vache regardant passer les trains. Car, comme une voie ferrée, l’intrigue de ce livre est des plus prévisibles et les personnages des plus plats.
Il revisite des classiques de genres différents, mais la réécriture de la mort de Gavroche ne me semble pas nécessaire et je crois que ce livre ne m’aurait pas donné l’envie de lire, ni maintenant ni lors de ma prime jeunesse. La couverture de l’édition actuelle est bien racoleuse, mais ne reflète pas du tout le contenu, avec notamment le rôle de bibliothécaire qui n’est pas même effleuré.
Si je n’ai pas aimé ce livre, je crois que le pire demeure les stéréotypes. Peut-être suis-je paranoïaque, mais faut-il que le Black de service soit rappeur, que sa fille idéale soit nécessairement noire ? Pourquoi infirmité et laideur sont-elles souvent synonymes ? Pour un roman qui se veut porteur de messages, je trouve cela un peu dangereux et je ne suis pas sûre que j’en conseillerais la lecture, à quelque âge que ce soit.

* Je fais bien sûr allusion à l’intrépide héroïne de Jasper Fforde, qui fait sa première apparition dans le drolatique L’Affaire Jane Eyre.

36raton-liseur
Bearbeitet: Dez. 13, 2013, 1:26 pm

24. L’Enfant Océan - Jean-Claude Mourlevat
– Là-bas c’est l’Ouest. Le ciel est plus grand qu’ici, et puis il y a l’Océan.
L’Océan… (…) on l’avait cru sans hésiter et depuis, chaque fois qu’on regardait par cette fenêtre, on voyait plus le pré du père Colle avec ses pommiers, ni la clôture ni la mare. On se crevait les yeux sur la ligne grise de l’horizon et on voyait le ciel s’agrandir, on voyait l’Océan. On l’entendait même, avec ses énormes vagues qui brassaient le sable de la plage,
vraoutch (p. 38, Chapitre 6, “Récit de Rémy Doutreleau, quatorze ans, frère de Yann”, Première partie).
Fabien et Rémy, Pierre et Paul, Victor et Max, ainsi que Yann. L’enfant Océan, un titre qui semblait fait pour m’attirer. Et quel joyau que ce livre pour enfant. Tels les sept enfants du Petit Poucet, les sept garçons Doutreleau fuient leurs parents. Mais nul besoin de caillou pour marquer leur chemin, car il n’y a pas de retour, et seul l’Océan, au loin, là-bas, à l’ouest, attire Yann, le petit poucet dont on se demande presque s’il est vraiment le dernier de la fratrie ou s’il est un ange gardien venu veiller sur eux.
Les mots de Jean-Claude Mourlevat sont comme un collier de perles pastel, ses phrases caressent comme un filet d’eau claire. Il construit un roman polyphonique, raconté par les six grands frères et ceux qui ont jalonné cette marche vers l’océan, d’une construction parfaitement maitrisée, entre grande fluidité et rythme de l’alternance des voix ; un roman qui dessine en creux cet enfant aux rêves plus grands que lui.
Jamais moralisateur, ce livre mêle l’âpreté et la douceur et fait, sans y toucher, la part belle à la solidarité quotidienne, celle du pain donné de bon cœur ou d’une couverture remontée avec amitié sur le dormeur inconnu. Un très beau livre pour se rendre compte sans violence des noirceurs de ce monde, mais aussi de l’espoir que chacun est responsable de garder vivant pour soi-même et pour les autres.
Des bons sentiments, certes, mais avec une dose de réalisme ; une histoire toute simple, mais avec une belle nuance d’onirisme. En définitive, un dosage qui me paraît parfait pour des enfants d’une dizaine d’années. Un livre que je ne manquerai pas d’offrir à de nombreux petits lecteurs, en espérant que Yann les emporte dans sa quête, les transporte dans ses rêves, pendant que moi, je regarderai longtemps, les pieds léchés par les vagues, le bateau s’éloigner en me demandant ce qu’il y a là-bas, toujours plus à l’ouest.

37raton-liseur
Mai 8, 2012, 2:48 pm

25. Le Petit Prince (série pour la télévision) - Tome 8 - La Planète des Libris - Francis Colin (adaptation)
– Myriade, comment est ton livre ?
– Il sent le chocolat.
(p. 46, Chapitre 5, “Nouvelles secousses”).
Ce n’est pas tout à fait d’un livre dont il est question ici, mais de l’adaptation d’un épisode d’une série télé (que je n’ai pas encore vue), elle-même adaptée du personnage éponyme que beaucoup d’entre nous ont côtoyé à un moment ou à un autre de leur enfance. Intriguée par cette vague récente d’adaptations et moi-même groupie du petit garçon au mouton (je collectionne en dilettante l’ouvrage de Saint-Exupéry dans différentes langues, ma dernière acquisition, il y a quelques mois, étant la traduction en créole haïtien par l’écrivain Gary Victor, mais je m’égare), je me suis dit que cette aventure sur une planète de liseurs était une bonne entrée en matière !
Ce fut un moment bien agréable. L’histoire ne casse pas trois pattes à un canard, certes, mais elle est bien adaptée à son public, de jeunes lecteurs de sept ou huit ans et fait un joli portrait des lecteurs et des raconteurs d’histoires, dans un pays où les livres ne sont pas que des mots, mais aussi des objets qui sentent et touchent bon. Je reprocherais juste à l’auteur l’emploi du passé simple, qui m’a fait buté presque à chaque phrase et qui m’a semblé ne pas être en accord avec le rythme de l’histoire, comme si ce temps avait été utilisé pour coller au mieux aux programmes scolaires, sans égard pour le style.
On est bien loin, il faut l’avouer, de la tendresse de Saint-Exupéry devisant avec l’enfant qu’il n’a pas eu, et il est impératif d’oublier un instant l’original pour voir ce petit prince de manga comme un personnage qui lui aussi est ami avec un renard et une fleur, mais qui n’est au plus qu’un cousin du petit prince des grifonnages de Saint-Exupéry. Une fois cette distinction faite, il reste une histoire agréable que l’on peut mettre dans les bibliothèques de toutes les écoles ou dans les mains de tous les parents qui veulent raconter de jolies histoires. Mais n’oubliez pas de lui lire l’histoire originelle tout de même !

38raton-liseur
Mai 8, 2012, 2:50 pm

26. L’Or - Blaise Cendrars
Si j’avais pu suivre mes plans jusqu’au bout, j’aurais été en très peu de temps l’homme le plus riche du monde : la découverte de l’or m’a ruiné. (p. 91, Partie 31, Chapitre 9).
Il est des fois où l’on fait des mauvais choix. J’ai acheté ce livre il y a longtemps, un peu par hasard, livre d’occasion sur les étagères d’une grande enseigne parisienne. J’ai entendu l’année dernière un portrait de l’auteur dans une émission de radio aujourd’hui disparue (« Partir avec… » de Stéphanie Duncan). Le personnage ne m’a pas paru bien sympathique mais je me suis souvenue de ce livre qui dormait sur mes étagères. Alors, voulant lire un livre court et plein d’aventures, je me suis dit qu’il était temps de l’exhumer. Bien mal m’en a pris… J’ai mis trois semaines à en venir à bout, préférant le délaisser entre-temps pour Kessel et Giono et quelques livres pour enfants, et je me suis forcée à le finir, me disant que peut-être finirais-je par comprendre.
Enfin, fini, refermé. Quel style aride, fait de phrases courtes, sèches, plates. On ne peut même pas parler de style journalistique. Un style que d’aucuns aiment, mais décidemment pas moi, j’ai eu l’impression de lire quelqu’un qui ne savait pas s’exprimer.
L’idée de départ est intéressante, il s’agit de la biographie romancée d’un personnage dont j’ignorais l’existence, Johann August Sutter, commerçant, colon, aventurier, un des premiers à s’établir dans les environs de ce qui deviendra San Francisco, alors que la Californie était encore mexicaine et avant la ruée vers l’or au milieu du XIXème siècle.
Mais je ne peux comprendre quel est l’intérêt de cette biographie romancée. D’abord Cendrars n’exploite pas ce qui semble être la raison pour laquelle ce personnage l’a intéressé, à savoir cet apparent oxymore qui devient la devise de Sutter, « la découverte de l’or m’a ruiné ». D’autre part, Cendrars semble avoir négligé certaines des contradictions du personnage, comme le rôle d’un de ses fils dans l’urbanisation des terres de son père. Je ne comprends donc pas le propos de Cendrars ; il me semble qu’il fallait soit simplifier le personnage pour en faire la parabole de son oxymore, soit en garder la complexité et en explorer les ramifications.
En définitive, je suis restée imperméable au style comme au propos de l’auteur, et je suis passée complètement à côté de ce qui est considéré comme un classique du début du XXème siècle. Je laisse à d’autres le soin de décrypter les tenants et les aboutissants de cette œuvre, c’est hors de mes affinités littéraires.

39raton-liseur
Bearbeitet: Mai 8, 2012, 2:58 pm

27. Le Bateau - Nam Le
Durant quelques instants, je suis devenu mon père contemplant son fils endormi, assailli par le souvenir de ce que – dans l’intérêt de ce fils – il avait tenté, sans relâche, d’oublier. Un passé trop vaste pour la plainte, trop périlleux pour la mémoire. (p. 42, “L’amour, l’honneur, la pitié, l’orgueil, la compassion, le sacrifice”).
Sept nouvelles, comme autant de petits romans, pour composer ce recueil. Je dois avouer que je n’ai pas accroché et que je n’ai fait que survoler la seconde partie du livre. D’abord le style inutilement grossier des premières nouvelles m’a rebuté, seul le regard de l’auteur sur les jeux de lumière autour des personnages m’a intéressé (« Paul avait retroussé ses manches pour casser une pince [de crabe], ses ongles carrés étincelant dans la vapeur. », p. 255, “Ici Téhéran”). Ensuite et surtout, j’ai commencé à ressentir un certain malaise face à ces nouvelles qui semblent toujours laisser les personnes au milieu du gué, dans un entre-deux, donnant l’impression d’écrits inachevés. Je n’ai pas ressentir aucun lien avec les personnages, ni même commencé à les comprendre. Une lecture ratée, tout simplement.

40raton-liseur
Mai 8, 2012, 3:01 pm

28. It’s a book (C’est un livre) - Lane Smith
– How do you scroll down ?
– I don’t. I turn the page. It’s a book.
(p. 6).*
Il est un temps que les moins de dix ans ne peuvent pas connaître… Le temps d’avant le temps des smartphones et des liseuses, le temps où les mots étaient imprimés, toujours, sans alternative ni arrière-pensée. Alors non, un livre ça ne « tweete » pas, mais une fois qu’on a mordu à l’hameçon de ses mots, plus moyens de s’arrêter, c’est ce que l’âne apprendra à ses heureux dépens.
Livre tout simple, des dessins qui vont à l’essentiel, j’ai tout particulièrement apprécié les mouvements de l’âne plongé dans son livre, inclinaison du corps selon les pages, mouvement des yeux au long des lignes. Un livre qui fera plus plaisir aux parents qui ne peuvent se passer des pages à tourner, mais qui risque de laisser indifférents les enfants de quelques années auxquels il est (officiellement) destiné, inconscients qu’ils sont des débats technologiques qu’ils découvriront bien assez tôt. Alors peut-être est-ce un de ces livres qui faut toujours acheter accompagné, C’est un petit livre, qui ne fait pas coin-coin, et C’est un livre, qui ne se recharge pas, pour les parents !

* Traduction : « – Comment on fait défiler le texte ?
– On ne peut pas. Il faut tourner les pages. C’est un livre. »

41raton-liseur
Mai 8, 2012, 3:04 pm

29. The invention of Hugo Cabret (L’invention de Hugo Cabret) - Brian Selznick
Hugo knew even then he would never forget the first time he saw it. The machine was so intricate, so complicated, that he almost got dizzy looking at it. Even in its sad state of disrepair, it was beautiful. (p. 117, Chapitre 5, “Hugo’s father”, Partie 1, “The thief”).
Le monde du cinéma ne m’attire pas particulièrement, mais j’avais vu un très court extrait de l’adaptation de ce livre et je me suis dit, sans savoir de quoi il était question, qu’il fallait que j’en sache plus. J’ai donc commencé avec le livre, dévoré en deux soirées. Un livre original tant dans la forme que le fond.
Le fond d’abord, parce qu’il est question de rêve mais il n’y a ni fée ni magie ; il est question ici de la création mécanique des rêves, de leur projection sur un écran. Si l’on sent le traitement américain (hollywoodien presque) du sujet, qui est le début de ce que l’on appellera effectivement « l’usine à rêves », j’ai aimé ce petit garçon qui est un héros non parce qu’il a découvert un secret ou une formule magique, mais parce qu’il est habile de ses mains, qu’il sait donner vie à des rouages et des engrenages. Ce petit bonhomme qui tombe en admiration devant le mécanisme d’un automate pourra paraître aux jeunes lecteurs plus proche et plus réel que les héros extraordinaires qui envahissent la littérature. Si vous offrez ce livre à vos enfants, assumez les conséquences et prévoyez un budget “Lego” à la hauteur !
La forme ensuite, c’est bien sûr ce qui frappe en premier. L’introduction nous invite à nous imaginer dans une salle de cinéma, et c’est bien ce qu’il se passe. Nous voilà propulsés au milieu d’un film muet, où alternent images et textes. Nous sommes spectateurs de cette histoire en noir et blanc et projectionniste au fur et à mesure que l’on tourne les pages. Une idée qui fonctionne plutôt bien et qui donne une bonne idée, me semble-t-il de ce que pouvaient ressentir les premiers spectateurs des films de fiction. Il est un peu dommage seulement que les mots prennent parfois le pas sur l’image, et que les dessins soient principalement cantonnés aux courses-poursuites, donnant un air un peu répétitif à l’ensemble, c’est peut-être le signe de notre difficulté aujourd’hui à imaginer l’histoire à partir d’images, sans que l’on nous guide par les mots.
En définitive, un livre très intéressant, qui m’a permis de découvrir un peu mieux le personnage de Georges Méliès (dont ce livre s’inspire très librement) et le début du cinéma de fiction, et qui m’a donné envie de voir son Voyage dans la Lune. Une réussite, donc, et maintenant je ne suis pas certaine de vouloir voir le film en couleur, puisque j’ai mon propre film en noir et blanc dans la tête !

* Tentative de traduction : « Hugo sut qu’il n’oublierait jamais l’instant où il la vit pour la première fois. La machine était si complexe, si perfectionnée, qu’il en eut le souffle coupé rien qu’en la regardant. Même dans le piteux état où elle se trouvait, elle était tout simplement belle. »

42Cecilturtle
Mai 8, 2012, 9:19 pm

#22- un superbe dessin animé a été réalisé d'après la nouvelle qui remet en contexte l'histoire. Naïf, certes, mais peut-être sommes-nous devenus trop cyniques? http://www.dailymotion.com/video/xfjguc_jean-giono-l-homme-qui-plantait-des-arbr...

43raton-liseur
Mai 15, 2012, 2:00 pm

# 42 - Merci pour le lien, Cecilturtle, je regarderai ce dessin animé avec plaisir !
Je crois que ce qui m’a le plus embêté, ce n’est pas la naïveté en tant que telle, mais le fait que ce qui est raconté n’est pas plausible, ce qui fait un peu penser à une imposture. J’aurais préféré une parabole, où le côté naïf étant assumé, l’histoire aurait eu une plus grande portée, en tout cas pour moi.

44raton-liseur
Bearbeitet: Jul. 17, 2012, 10:36 pm

30. Le grand Cœur - Jean-Christophe Rufin
Par contraste [avec les croisés], notre position de marchand, que j’avais toujours accepté de regarder comme la regardaient les nobles, c’est-à-dire triviale, matérielle et sans honneur, m’apparut toute autre. Nous étions les agents de l’échange et non de la conquête. Notre vocation était d’apporter à chacun le meilleur de ce que produisait l’autre. Nous avions, nous aussi, à notre manière, l’ambition de nous approprier la civilisation des autres, mais en contrepartie de ce qu’ils pouvaient désirer de la nôtre. (p. 110, Chapitre 1, Partie 2, “La caravane de Damas”).
Est-ce ainsi que sont les hommes aux destins hors du commun ? Revenant sur leurs exploits, au soir de leur vie, sont-ils incapables de se remettre en question, pensent-ils qu’ils ont toujours fait le bon choix, ont eu le bon jugement, la bonne intuition, que rien ne peut les mettre en faute ? Rufin écrit ici une autobiographie romancée d’un personnage fascinant que, je dois avouer, je ne connaissais pas du tout. S’il en fait l’émissaire d’un changement profond de la société française et peut-être même européenne, il ne rend pas le personnage attachant. J’ai au contraire trouvé Jacques Cœur souvent plutôt antipathique. Lorsque l’on sait que Rufin ne cache pas, comme il l’écrit dans sa postface, que ce portrait lui ressemble sans doute plus à lui-même qu’à Jacques Cœur (p. 498), je n’ose en tirer des conclusions quant à Rufin lui-même.
Le destin que s’écrit Jacques Cœur est fascinant. Un simple bourgeois (ou presque) qui, à la faveur de que ce Rufin présente comme les prémisses de l’absolutisme qui fleurira en France à peine plus d’un siècle plus tard, s’élève bien au-delà de ce qu’il pouvait imaginer, commerçant sur toute l’étendue du monde connu, s’enrichissant bien au-delà de ce qu’un homme peut compter, siégeant au Conseil du Roi… Mais un tel succès ne peut faire que des envieux, à commencer par le Roi lui-même, et une ascension aussi fulgurante ne peut qu’appeler une disgrâce toute aussi totale.

J’ai pris un certain plaisir à la lecture de la jeunesse puis de l’ascension de Jacques Cœur, d’abord parce que j’ai pu soit m’identifier soit comprendre certaines de ses interrogations sur le sens à donner à sa vie, ensuite parce que j’ai beaucoup appris sur cette période de l’histoire de France qui suit la Guerre de Cent Ans. On la voit souvent comme la fin d’un interminable Moyen Âge où les non-experts tels que moi mélangent les évènements d’un millénaire en quelques lignes de livre d’histoire mal digérées. Charles VII n’est pas seulement le roi couronné par Jeanne d’Arc, j’ai appris qu’il avait initié de nombreuses réformes, notamment fiscales et commerciales, mais aussi en terme de politique étrangère et de réforme sociale, on voit se dessiner les règnes de François Ier et son goût pour l’art et l’Italie et de Louis XIV et la cage dorée qu’il tisse autour des princes et aristocrates qui ne lui feront plus d’ombre.
Mais, passé ce premier intérêt, il me semble que le livre s’essouffle. Nouvelle charge pour Jacques Cœur, nouveaux bénéfices et ascension toujours plus haute, cela devient un peu répétitif. Puis c’est l’apparition d’Agnès Sorel et là les sentiments sonnent faux. Puis c’est la chute, et on a l’impression que Rufin, s’il a connu une ascension dans les milieux humanitaires et politiques qui lui permettent de se mettre à la place du Jacques Cœur des débuts, ne sait plus ce que son personnage peut bien éprouver à ce moment de sa vie, que lui-même n’a pas encore eu à subir.
Les deux derniers tiers du livre m’ont donc parus un peu poussifs, ce que je regrette. J’espérais en effet que ce livre me réconcilierait avec cet auteur, que j’avais tant aimé lors de ma belle lecture de L’Abyssin, il y a quelques années, sur la terrasse de Bubanza, quand je ne pouvais attendre que les journées de travail se finissent pour dévorer les aventures de Jean-Baptiste Poncet. Le grand Cœur n’est hélas pas à la hauteur de mes espérances, il reste au même niveau que Rouge Brésil, c’est-à-dire un livre trop tiède pour le sujet qu’il traite et pour ce qu’il laisse espérer.

45raton-liseur
Bearbeitet: Jun. 25, 2012, 6:44 pm

Je peine, depuis plus d’un mois, à écrire un avis de lecture sur Por el color del trigo de Toño Malpica et Iban Barrenetxea. Peut-être parce que c’est ma première vraie lecture en espagnol, peut-être parce que j’ai du mal à trouver les mots pour évoquer ce texte qui rend hommage au Petit Prince de Saint-Exupéry.
Comme je veux que cette liste de lecture suive mes lectures dans l’ordre où je les ai terminées (et en général commencées, je lis rarement plus d’un livre à la fois), cela fait maintenant près d’un mois que je n’ai pas mis à jour cette liste, alors que mes lectures ont été nombreuses.
Je fais donc une note ici de mon entorse à ma propre règle : je reviendrai plus tard parler de ce livre, et je saute directement à mes lectures suivantes.

46raton-liseur
Jun. 25, 2012, 6:46 pm

31. La flor más grande del mundo (La plus grande fleur du monde*) - José Saramago (Texte) & João Caetano (Illustrations)
Y como este niño es especial, como es un niño de cuento, pensó que tenía que salvar la flor.** (p. 19).
Saramago ne semble savoir faire que du Saramago… L’intérêt de ce livre est, je suppose, dans la façon dont Saramago met en abyme l’écriture de cette histoire, tout en affirmant qu’il ne sait pas écrire pour les enfants.
Je le prends au mot, il ne sait pas écrire pour les enfants. Je n’ai trouvé aucun intérêt à l’histoire de ce petit garçon qui arrose une fleur, et je suis restée imperméable à la réflexion sur l’écriture (si tant est que ce livre contienne une réflexion sur l’écriture). J’ai deux livres (pour adultes cette fois) de Saramago qui m’attendent dans ma bibliothèque, et je commence à craindre le pire…

* A ma connaissance ce livre n’a pas été traduit en français. La traduction du titre est donc ma propre invention…

** Tentative de traduction : « Et comme ce garçon était particulier, comme c’était le héros d’un conte, il se dit qu’il devait sauver la fleur. »

47raton-liseur
Jun. 25, 2012, 6:51 pm

32. Un don - Toni Morrison
Ce fut un don. Offert par un être humain. Je suis restée à genoux. Dans la poussière où mon cœur va demeurer chaque nuit et chaque jour jusqu’au moment où tu comprendras ce que je sais et brûle de te dire : recevoir le pouvoir de dominer autrui est chose difficile ; s’emparer de force de ce pouvoir est chose erronée ; donner ce pouvoir sur soi-même à autrui est chose mauvaise.
O, Florens. Mon amour. Ecoute
a tua mãe. (p. 193, Chapitre 12).
Je n’avais jamais lu Toni Morrison et ne savais trop par où commencer. La robe froissée et les pieds nus de la couverture de ce livre ont tranché. Pour moi, Toni Morrison, c’est l’écrivain de la condition des Noirs, de l’esclavage. On est ici à la fois loin et proche de ces thèmes.
A la fin du XVIIème siècle, dans une Amérique où tout reste à coloniser, où la ségrégation n’est pas encore érigée en système et où l’esclavage est encore multi-racial, ce roman est l’histoire d’un domaine agricole comme tant d’autres. Un couple de blancs à la tête bien sûr, et un échantillon de la nouvelle Amérique comme main-d’œuvre, de l’indienne à la noire, en passant par les blancs, dont certains payaient leur passage par des années de servitude sans fin.
Dans un style apparemment très déconstruit, mêlant les voix des différentes femmes du domaine, ne respectant aucune chronologie, Toni Morrison fait une peinture sombre de l’exploitation de l’homme par l’homme, quelles qu’en soient les formes et les couleurs, à un moment charnière d’un pays en train de construire ses valeurs et où les mécanismes de la ségrégation ne sont encore qu’en germe.
Même si Toni Morrison rend très bien la singularité des voix de ses différents personnages, même si elle sait créer un environnement délétère en ne faisant que le suggérer, je n’ai pas vraiment été sensible à ce livre, dont la structure m’a paru trop complexe sans que cela n’apporte beaucoup au propos. La forme me paraît finalement par trop prendre le pas sur le fond, et la singularité de l’histoire nuit au message qui se veut universel.

48raton-liseur
Jun. 25, 2012, 6:54 pm

33. Pequeño Dragón aprende a volar (Petit Dragon apprend à voler*) - Graciela Pérez Aguilar (Texte) & Natalia Colombo (Illustrations)
Petit dragon devient grand et ses parents l’emmènent tout en haut de la colline pour sa première leçon de vol. Mais Petit dragon a envie de faire pipi, puis il a soif, puis il a trop chaud, bref, il a peur… Et ce n’est pas ses parents, qui lui conseillent courage, force et équilibre, les trois points clefs du vol qui l’aident… Heureusement, son amie le papillon connait le secret du vol…
Une jolie histoire, agrémentée de dessins vifs et doux et qui un régal pour les yeux, qui aidera les enfants à comprendre qu’il est normal d’avoir peur d’apprendre, mais qu’avec un peu d’amitié, on s’en sort et même, on apprend à aimer ça. Une belle histoire à lire aux enfants qui commencent les premiers apprentissages à l’école, ou bien un premier livre pour ceux qui commencent à lire.

* A ma connaissance ce livre n’a pas été traduit en français. La traduction du titre est donc ma propre invention…

49raton-liseur
Bearbeitet: Jun. 25, 2012, 6:58 pm

34. De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête - Werner Holzwarth (Texte) & Wolf Erlbruch (Illustrations)
Je sais bien que les enfants ont leur période où les excrétions du corps et autres choses qu’on leur enseignera comme peu ragoutantes sont le centre de leur intérêt. Mais je trouvais le titre de ce livre un peu trop direct et le sujet un peu trop limité.
Et bien je l’ai piqué dans la bibliothèque d’une de mes jeunes connaissances il y a quelques jours, et je me dis que j’ai bien eu tord de m’en priver si longtemps ! L’histoire toute simple est rigolote, et la taupe en colère avec sa crotte en guise de chapeau est très bien croquée. J’ai donc ri, et c’est une bonne façon de parler aux enfants des choses qui les intéressent vraiment !
Et s’il faut une justification éducative, dites aux parents que c’est un très bon guide d’identification des animaux de la ferme par leurs déjections. Après tout, je fais souvent cela quand je me promène dans la nature, identifier les animaux qui sont passés par là au moyen de leurs crottes. (En fait je ne le savais pas, mais je fais peut-être partie des enfants à qui se livre est destiné ?)

50raton-liseur
Jun. 25, 2012, 7:02 pm

35. L’Art de voler - Antonio Altarriba (Texte) & Kim (Illustrations)
Le petit travaillait bien, avec de bonnes notes, mais l’enseignement était vicié, quasiment laminé par l’idéologie du régime.
(…) Et je n’osais pas lui montrer un autre point de vue…
Comment prendre ce risque, comment lui faire courir le risque de payer les conséquences d’une pensée vaincue et encore pourchassée… ?
Ce fut l’aboutissement le plus terrible de ma condamnation au silence… Je ne pouvais éduquer mon fils…

(p. 153, Chapitre 3, “1er étage - 1949-1985 : Biscuits amers”).
Malgré son incipit inhabituel, le suicide d’un homme de quatre-vingt-dix ans, je crois que je m’attendais à un énième livre sur les héros malheureux de la Guerre Civile Espagnole. C’est un peu ce qu’est ce livre au premier abord, puisque le personnage principal, le père de l’auteur, a effectivement pris part à cette guerre, du côté de ceux qui seront vaincus. Mais l’apologie républicaine s’arrête là. Antonio Altarriba, le père, n’est pas un héros. Il a avant tout cherché à vivre et a, pour cela, accepté bien des compromissions, même si cela veut dire qu’il n’a que vécu, et n’a jamais vraiment pu voler. Après avoir passé la guerre mondiale en France, réfugié espagnol sans papiers, il s’est résolu à rentrer dans une Espagne dominée par ses ennemis d’avant, et à se couler dans le moule de l’Espagne franquiste et bigote. Il doit alors laisser tomber ses idéaux et sa morale, bout après bout, comme des pelures d’oignons qui s’effeuillent une à une et le laissent de plus en plus nu à ses propres yeux.
Figure tragique au sens grec, héros auquel rien n’est épargné et dont aucune décision ne peut mener au bonheur, cette vie de capitulations successives est transfigurée par le regard du fils écrivain, qui restitue le personnage dans sa complexité et sa douleur.
Même si le texte n’est ni particulièrement bien écrit, bien qu’il véhicule une émotion certaine, et même si les dessins sont de facture très classique, c’est une bande-dessinée à recommander, car elle fait entendre une autre voix des douleurs de l’Espagne au XXème siècle. Une voix qu’on entend peu, parce que bien peu glorieuse, mais la fierté ravalée est amère et ce libre fait entendre la voix d’une majorité silencieuse, malmenée et qui a besoin d’être réhabilitée à ses propres yeux, même si c’est de manière posthume.

51raton-liseur
Jul. 2, 2012, 6:12 pm

36. L’héritage de Karna - Herbjørg Wassmo
Tome 1 / 3 - Mon péché n’appartient qu’à moi
Tome 2 / 3 - Le pire des silences
Tome 3 / 3 - Les femmes si belles
– Tu crois que les gens peuvent s’aimer sans mentir, grand-mère ?
Grand-mère avait repris sa marche, mais elle avait tourné son visage vers elle.
– Je ne sais pas. Mais je le crois. Mais alors faut pas s’attendre à ce que les gens existent pour toi. Ils existent pour eux-mêmes. Même s’ils t’aiment, il peut arriver qu’ils ne te racontent pas tout. Je ne sais pas si on peut appeler ça un mensonge. Le plus important est d’avoir quelqu’un à aimer.
– Comment ?
– Il faut saisir l’amour quand il est là, ne pas le laisser passer. Et s’il veut s’en aller, faut le laisser partir. Il doit rester libre. C’est seulement comme ça qu’on peut le garder.

(p. 133, Chapitre 11, Livre 3, “Les femmes si belles”).
Les titres des tomes de cette dernière partie de la trilogie de Dina sont particulièrement évocateurs, de même que la jeune fille sur les couvertures de l’édition 10/18 avec son regard envoutant et déroutant. Tout pour se demander en ouvrant ce livre ce qu’il réserve au lecteur, après la liberté égoïste de Dina dans Le Livre de Dina et la torture malsaine de Benjamin dans Fils de la Providence.
Ce livre revient aux racines, à Reinsnes, le domaine agricole et maritime qui a du mal à faire face au changement d’époque, à l’industrialisation et à la mécanisation, et à Strandstedet, la ville voisine en pleine expansion qui représente l’avenir. Retour sur les lieux du premier tome donc, mais avec des personnages plus apaisés, qu’il s’agisse en particulier d’une Dina assagie et lucide, ou d’un Benjamin qui assume mieux ses faiblesses. Dans cet univers d’adultes écorchés, Karna apprend à vivre et à faire des choix.
Dense, ce dernier volet de la saga de Reinsnes m’a emportée dans ses paysages, dans sa révolution industrielle, dans ses drames petit-bourgeois et je me suis laissée aller à espérer que, malgré tout ce qu’elle a pu faire, un personnage tel que Dina Grønelv ait existé, un jour quelque part, nous démontrant de façon éclatante que le déterminisme n’existe pas, qu’il ne tient qu’à nous de tirer les leçons de nos douleurs et de nos erreurs, et d’assumer notre liberté et nos rêves.

52raton-liseur
Jul. 2, 2012, 6:15 pm

37. Viaje al País de los Magos - Los islotes de Pedestal (Les îlots de Piédestal) - Eric Puybaret
Por cien astrolabios! ¡Qué fenómeno tan extraño!* (p. 28).
C’est un peu bête de lire en espagnol les livres d’auteurs français, mais bon, c’est mon excuse du moment pour lire des livres d’enfants en disant que c’est pour améliorer ma pratique de la langue ! Et ça marche puisque maintenant je connais un peu plus de vocabulaire marin qu’hier. C’est toujours utile de savoir qu’un sextant se dit « sextante », non ?
J’ai été attirée par ce livre grâce aux dessins, un mélange de jolies aquarelles au style léché et des esquisses de dessins scientifiques, faits au fur et à mesure des découvertes par le jeune apprenti Pablo, qui est aussi le narrateur de l’histoire. Avec son maître Azarías et l’homme à tout faire et aux cerveaux interchangeables Turpino, ils partent explorer le pays des mages et ce tome relate leur première rencontre, avec des magiciens chacun roi de leur petit îlot sur lequel ils ont tout juste la place de construire leur longue tour qui ressemble à un phare. On est roi de ce qu’on peut…
Et bien que chacun ait son petit bout de royaume, la guerre est incessante. Et, après quelques péripéties, c’est finalement grâce au jeu, le coco-hockey (dont le terrain ressemble furieusement à un terrain de football), que les guerres finiront. Morale un peu triste me semble-t-il : des jeux pour canaliser les énergies et faire oublier les conflits de petits chefs ? Mais Monsieur Raton a eu une interprétation plus positive : redevenir enfant pour régler les problèmes d’adultes ?
En définitive, l’histoire m’a parue sans grand intérêt, mais les dessins sont vraiment beaux. Un livre à regarder, plus qu’à lire, et à regarder avec des yeux d’enfant…

* Tentative de retour à la langue originelle : « Par les cent astrolabes ! Quel phénomène étrange ! »

53raton-liseur
Jul. 2, 2012, 6:17 pm

38. El cazador y la ballena (Le chasseur et la baleine*) - Paloma Sánchez Ibarzábal (Texte) & Iban Barrenetxea (Illustrations)
Amanece…
El sol besa el agua y del beso emergen los colores del mundo.
Se dibujan caminos inexplorados por los que se adentra el cazador. (…)
La ballena inicia su danza en el horizonte como un bailarín en el escenario. Se esconde tras el iceberg. Asoma entre los pliegues de las olas como una paloma escapando del pañuelo de un mago. Bucea entre los corales. Canta melodías de ballena llamando a sus amigos.
Como un monstruo celeste, se desploma sobre el mundo. Se hunde, entre la espuma.
Cuando el cazador llega al horizonte, la ballena ha desaparecido.
Nunca, nunca lo espera.**
(p. 8-10).
Un livre aux beaux dessins pastel et à la poésie toute douce. Une réécriture toute onirique du mythe de Moby Dick, avec un chasseur qui rêve autant aux étoiles qu’à sa baleine, deux expressions de l’inaccessible.
Un court moment de lecture pour jouer avec les saisons et les jours, et pour se laisser bercer par les consonances chantantes d’un rêve éveillé. Et un dénouement qui laisse entrevoir que le rêve est plus accessible que l’on croit quand il n’est pas destructeur.

* A ma connaissance ce livre n’a pas été traduit en français. La traduction du titre est donc ma propre invention…

** Tentative de traduction :
« Le jour se lève.
Le soleil baise l’eau et de ce baiser émergent les couleurs du monde.
Des chemins inexplorés se dessinent, dans lesquels le chasseur s’enfonce. (…)
La baleine débute sa danse à l’horizon, comme une ballerine sur la scène. Elle se cache derrière l’iceberg. Elle se montre entre les plis des vagues comme une colombe s’échappant du foulard d’un magicien. Elle plonge entre les coraux. Elle chante les mélodies des baleines appelant ses amis.
Tel un monstre céleste, elle s’écrase sur le monde ; elle s’enfonce dans l’écume.
Lorsque le chasseur arrive à l’horizon, la baleine a disparu.
Jamais, jamais elle ne l’attend. »

54raton-liseur
Jul. 2, 2012, 6:19 pm

39. El libro de Nebal (Le livre de Nebal*) - Carmen del Bosque (Texte) & Sara Ruano (Illustrations)
Livre d’une centaine de pages, destiné à de jeunes lecteurs. Dans un royaume où tout est parfait, il manque aux habitants l’essentiel, c’est-à-dire le bonheur. Malgré les recherches approfondies des plus grands savants, celle-ci échappe à tous. Mais le jeune tsar Alexander croit savoir où repose le diamant de la félicité et part à sa recherche. Le livre suit ses aventures, faites de paysages merveilleux et de pièges à déjouer.
J’ai trouvé l’histoire plutôt décousue, sautant d’une aventure à l’autre, et j’ai regretté qu’il n’y ait pas de morale ou en tout cas que le livre n’amène pas à réfléchir sur ce qu’est le bonheur, qui ne semble en définitive n’être qu’un diamant qu’il faut aller chercher au fond d’une forêt, et non quelque chose que l’on a en soit, une façon de regarder le monde. Je suis ressortie de ce livre avec la sensation qu’il est un peu trop consumériste ou pour le moins mécanistique, et pour cette raison, je ne pense pas que j’en recommenderais la lecture, malgré les belles images un peu japonisantes et les jolies fées aux ailes de feuilles qui en ornent les pages. Dommage…

* A ma connaissance ce livre n’a pas été traduit en français. La traduction du titre est donc ma propre invention…

55raton-liseur
Bearbeitet: Jul. 18, 2012, 11:27 pm

40. L’ouragan - Miguel Angel Asturias
Publié en 1950, l’Ouragan est le premier volume de la trilogie bananière dans laquelle Miguel Angel Asturias décrit la domination des entreprises fruitières américaines dans les pays d’Amérique Centrale. Nous sommes sur la côte Pacifique d’un pays non identifié (mais il n’est pas difficile d’imaginer le Guatemala), où s’installe la Platanera (sous les traits de laquelle il n’est pas difficile de reconnaître la United Fruit) et où se met en place d’une sorte d’alchimie qui transforme irrésistiblement le vert des feuilles de bananiers en vert des dollars américains.
Dans un style assez sec et elliptique qui me fait parfois penser à une anticipation de Françoise Sagan ou de la Nouvelle Vague (peut-être une conséquence de ses séjours répétés en France), Miguel Angel Asturias brosse en autant de chapitres une série de tableaux qui se veulent une illustration, sur quatre ou cinq décennies (la chronologie est peu claire) des moments clefs du développement d’un modèle d’exploitation capitalistique fruitier qui capte les meilleures terres grâce à la sueur des travailleurs indigènes qui s’élancent dans une sorte de marche épique et victorieuse de l’homme à la conquête d’une nature hostile, puis qui s’arroge, grâce à sa toute-puissance financière, le monopole de l’exploitation et du marché. Les petits producteurs qui espéraient prospérer dans le sillage de cette grande réussite ne pourront rien contre l’implacable machine, ce Pape Vert basé à Chicago et qui écoute déjà plus ses actionnaires qu’il ne se préoccupe de son modèle de production et de ses employés. Il ne leur sera pas même laissé le loisir de prendre ne serait-ce qu’une petite part du marché local, toute tentative et toute initiative étant systématique écrasées par la toute-puissance capitalistique. La révolte gronde, mais que peu le petit face au gros ? La question reste ouverte à la fin du livre : l’ouragan, littéral celui-là, qui met les plantations à mal pourra-t-il ne serait-ce qu’ébranler la grande entreprise, ou au contraire, sera-t-il l’allié inespéré qui écrasera les petits car elle seule aura la force financière de survivre à la perte d’une récolte et de reprendre les investissements ?

Malgré un style à mon avis peu agréable à lire, j’ai aimé cette évocation factuelle de la mise en place d’une domination économique étrangère qui étend son ombre mortelle pour tuer inexorablement tout ce qui voudrait pousser à son côté. C’est aussi un livre prémonitoire, puisqu’il est publié en espagnol quatre ans avant le fameux coup d’Etat de 1954, à ma connaissance le seul coup d’Etat organisé par la CIA pour sauvegarder les intérêts d’une entreprise agro-alimentaire. Diplomate qui avait soutenu activement les dix années de démocratie naissante dans le pays, Asturias dut alors s’exiler, et on lit dans ce livre sa rage qui monte contre la captation des ressources naturelles de son pays par une puissance étrangère incontrôlable et la montée de l’ingérence dans ses affaires politiques et sociales.
Pour achever cette note de lecture, j’aimerais aussi souligner que ce livre, bien que se référant à des évènements précis demeure d’une actualité troublante. D’abord la dépendance des grandes entreprises par rapport à la bourse, que je citais plus haut. Nos médias actuels nous disent que c’est une dérive récente, pas tant que cela semble-t-il. Ensuite et surtout, je me demande dans quelle mesure on pourrait transposer ce livre sur un autre continent, l’Afrique, où des puissances étrangères ont commencé à acquérir des terres, dans le but avoué de nourrir leurs propres populations. Que se passera-t-il quand les champs de blé onduleront sous le soleil pour aller alimenter les Chinois tandis que les Ougandais auront toujours plus de mal à subvenir à leurs propres besoins ? La souveraineté alimentaire est une question qui demeure d’actualité, en Amérique Centrale (où des manifestations de paysans réclamant, encore aujourd’hui, un meilleur partage des terres sont en train de se radicaliser au Honduras) comme sur les autres continents, mais c’est aujourd’hui aussi la question de la souveraineté territoriale et de la gestion des ressources naturelles qui se pose de façon toujours plus aigüe dans le contexte de l’augmentation de la population et du changement climatique. L’Ouragan a frappé hier, il frappera demain, et ce livre pose, avec les mots d’hier, les questions qu’il nous faudra résoudre avant demain si l’on ne veut pas qu’il soit trop tard.

56raton-liseur
Jul. 18, 2012, 11:18 pm

41. Albert Nobbs (Albert Nobbs) - George Moore
But her secret forced her to live apart from men as well as women; the clothes she wore smothered the woman in her; she no longer thought and felt as she used to when she wore petticoats, and she didn’t think and fell like a man though she wore trousers. Who was she? Nothing, neither man nor woman, so small wonder she was lonely.* (p. 39, Chapitre 3).
En refermant cette longue nouvelle, je ne peux m’empêcher de ressentir une immense tristesse et une immense solitude. Pas de cette solitude choisie et heureuse de celui qui se suffit à lui-même, mais la solitude de celui ou celle qui vit si seul au milieu de la société qu’il ne sait plus comment être au monde. Une solitude tellement au-delà de la simple solitude qu’elle ne se connait même pas.
Albert, parce qu’un jour elle a décidé de prendre des habits d’homme, n’est plus ni homme ni femme, et érigeant ce secret pesant dans la société ultra-codifiée de la fin du XIXème siècle comme une barrière infranchissable entre elle et le monde, elle se perd dans une solitude sans fond, dont elle finit par ne plus avoir conscience tant elle est la seule chose qui constitue son identité.

Cette nouvelle est étrange. Son scénario est peu crédible, mais qu’importe, c’est un prétexte. Les sujets qu’elle aborde sont nombreux si bien que l’on perd un peu le fil de ce que l’auteur veut dire. Il est question d’identité, de regard de la société, mais aussi de rêves de vie meilleure. Il est même question d’homosexualité, le regard graveleux des autres lorsqu’ils apprennent la vérité biologique me paraît assez proche de ce que ces questions peuvent soulever de réactions malsaines aujourd’hui encore.
Il est un peu dommage que le propos se perde ainsi, et, plus qu’une réflexion sur l’identité, je retiendrai cet irrémédiable sentiment de solitude, ce cuisant constat d’échec, même quand les rêves ne sont que ceux de chandeliers sur une cheminée et d’une petite boutique pour gagner honnêtement sa vie. « There had never been anything in her life but a few dreams, and henceforth there would not even be dreams. »** (p.84, Chapitre 4).

* Tentative de traduction : « Mais son secret l’obligeait à vivre à l’écart des hommes comme des femmes ; les vêtements qu’elle portait avaient éteint sa féminité. Elle ne pensait plus comme lorsqu’elle portait un jupon, mais elle ne pensait pas non plus comme un homme bien qu’elle porte un pantalon. Qui était-elle ? Rien, ni un homme ni une femme, rien d’étonnant à ce qu’elle soit seule. »
** Tentative de traduction : « Il n’y a jamais rien eu dans sa vie, juste quelques rêves. Dorénavant, il n’y aurait même plus les rêves. »

57raton-liseur
Jul. 18, 2012, 11:35 pm

42. Naga, el pequeño sabio (Naga, le petit sage*) - Manfred Sommer Resalt
Yo te enseñaré las letras, y cuando domines el arte de la escritura, podrás transmitir tus conocimientos a los demás. Entonces serás un escritor, un poeta, un maestro y te aseguro que harás de tu vida algo mucho más útil y hermoso que luchar simplemente por el emperador.** (p. 30).
Une petite histoire sans prétention, qui montre que l’on peut apprendre de tous, ici chaque animal ou homme rencontré donnant un conseil au petit Naga qui veut devenir guerrier.
Chacun lui donne aussi un poil de sa moustache, ce qui constituera au final un pinceau avec lequel il pourra devenir un sage, rôle ô combien plus important que celui de samouraï.
Une belle leçon d’humilité et de tolérance, que l’éditeur propose pour des enfants de huit ans. Je pencherais plus pour une lecture du soir, aux images riches de détail et reposantes, avec un enfant de quatre ou cinq ans.

* A ma connaissance ce livre n’a pas été traduit en français. La traduction du titre est donc ma propre invention…

** Tentative de traduction : « Quant à moi je t’enseignerai les lettres, y lorsque tu domineras l’’art de l’écriture, tu pourras transmettre tes connaissances au reste du monde. Alors, tu seras un écrivain, un poète, un maître, et je te promets que tu feras de ta vie quelque chose de beaucoup plus utile et plus beau que simplement lutter pour l’empereur. »

58raton-liseur
Bearbeitet: Aug. 6, 2012, 5:42 pm

43. Oasis interdites - Ella Maillart
Depuis six mois, j’ai souvent eu l’impression de me trouver sur une planète différente, et je suis, à vrais dire, comme rayée déjà du reste du monde ; ma famille, mes amis ont appris à se passer de moi ; mon éloignement, mon isolement m’ont enseigné enfin que je suis inutile à l’« ordre des choses » !
Oui, c’est certain, mais ce qui importe, c’est moi, qui vis au centre du monde. Ce moi qui n’a pas encore eu le temps d’accomplir quelque chose de valable, quelque chose qui me prolonge, me sauve du néant et satisfasse – ne serait-ce que petitement – à ce goût de l’éternel qui m’habite.
Mais, pour le satisfaire, quel bizarre moyen je prends en faisant vingt-cinq kilomètres par jour pendant des mois… Une fois de plus, comme au cours des nombreuses heures vides de ce voyage, je me demande ce qui me pousse vers les quatre coins du monde ? Oui, je sais, je veux voir toujours du nouveau et je répète avec le poète :
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !
mais ce n’est là qu’un effet ; quelle est la cause de cette curiosité qui m’éperonne, de ce besoin de voir, de comprendre ? Est-ce que je ne fais que dresser des difficultés devant moi pour avoir le plaisir de les surmonter ? D’où viennent les attractions auxquelles je me soumets aveuglément et qui décident pour moi ?
(p. 280-281, Chapitre 14, “Au Pamir”, Partie 2, “L’imprévu”).
Livre lu dans le cadre du défi de lecture « Récits de voyages ». Voir note de lecture ici.

59raton-liseur
Jul. 21, 2012, 12:48 am

44. Du bon usage des étoiles - Dominique Fortier
Du blanc, à perte de vue. Le blanc du ciel qui se fond dans le blanc de la terre enfouie sous la neige, qui se fond dans la blanc de l’eau couverte de glace, qui se font dans le blanc qu’on finit par avoir sous les paupières quand on ferme les yeux.
Un blanc gris sous les nuages lourds de neige, un blanc d’ombre qui avale les distances et trompe la prunelle. Un voile blanc qui recouvre tout.
Un blanc noir les jours d’hiver sans soleil.
(p. 187, Partie 2, “Les Voiles”).
Lady Jane m’aurait opposé son mépris, moi aussi lorsqu’on m’a parlé d’une expédition de Franklin, j’ai pensé au Benjamin scientifique et politique, me disant qu’il avait dû être bien vieux pour diriger cette expédition partie en mai 1845… John Franklin est bien moins connu en France qu’il ne l’est en Angleterre ou au Canada (l’exploration polaire a de façon générale peu intéressé les Français au XIXème siècle).
Ce livre, dont le titre reste pour moi énigmatique, est un récit romancé de l’expédition polaire dirigée par John Franklin, à la recherche du passage du Nord-Ouest, qui relierait l’Atlantique au Pacifique, un passage qui a toujours été au cœur des enjeux du trafic maritime, mais qui ne commence à exister que maintenant avec le changement climatique. Dans une œuvre polyphonique, Dominique Fortier conte en parallèle l’histoire des homme de l’expédition et celle de ceux qui sont restés derrière, chaque monde incarné principalement par Francis Crozier, commandant du Terror, l’un des vaisseaux de l’expédition et Lady Jane, femme de l’illustre explorateur, elle-même grande voyageuse et présentée comme une tête encore plus forte que son époux.

Ce livre demeure peut-être un peu obscur pour ceux pour qui cette histoire et ces personnages ne sont pas connus. J’ai compris plusieurs allusions en lisant l’article de Wikipédia, en particulier l’empoisonnement au plomb dont est victime l’équipage. Cette construction du roman qui suppose une connaissance préalable a probablement rendu ma lecture moins intéressante et plus superficielle. Ce qui est un peu dommage car, même si j’ai trouvé quelques maladresses dans le style et la construction, le livre m’a happée et je l’ai lu presque d’une traite.
De plus, je n’ai pu m’empêcher de penser au Retour d’Anna Enquist, qui fait le même parallèle entre celle qui reste et celui qui part, en l’occurrence James Cook, mais les deux n’exploitent pas le même thème : ici c’est la vacuité de la société victorienne bien-pensante qui est dénoncée, dans Le Retour, c’est la vie en parallèle, la distance, les liens indissolubles et l’incompréhension entre ceux qui partent et ceux qui restent qui m’a tellement marquée tant ces sentiments étaient aussi les miens lorsque je l’ai lu il y a plusieurs années. Le livre de Dominique Fortier devait donc se mesurer dans mon esprit à ce souvenir si vivace que je ne suis pas certaine de l’avoir apprécié à sa juste valeur.
J’en retiens finalement un livre qui manie les paradoxes, la confrontation entre la vanité des salons de Londres et le lugubre mess des officiers ; entre l’expérience frileuse et précautionneuse et la bravoure insouciante de ceux qui ne savent pas le danger ; mais peut-être surtout entre l’euphorie de l’exploration de grands espaces et le confinement des hivernages dans des bateaux pris dans la glace. J’ai pensé à L’Odyssée de l’“Endurance” de Shackleton, où j’avais découvert cette pratique de l’hivernage, avec ces grands bateaux à voiles immobilisés dans la banquise, une image qui me paraît tellement impossible. Etrange attrait des grands espaces, de l’aventure, qui se solde par une immobilité paradoxale et un confinement sans issue. Un livre qui donne un relief insoupçonné aux idées un peu oiseuses que l’on est né un siècle trop tard alors qu’il ne reste plus de terres à découvrir, aux songes un peu puéril qu’on aurait voulu être de ces expéditions. Le quotidien de l’aventure n’est pas à la hauteur du rêve, mais je suppose que nous continuerons à rêver, pas d’être Franklin, mais peut-être le grand Shackleton ?

60raton-liseur
Bearbeitet: Jul. 21, 2012, 1:31 am

Un PS en forme de remerciement pour cette note de lecture : Merci à Cecilturtle pour la découverte de ce livre, puisque c’est en lisant sa liste de lecture, peu après mon inscription sur Babelio, que j’ai découvert ce livre, Du bon usage des étoiles. Ce fut je crois ma première envie de lecture pêchée sur les listes de lecture de ce groupe, en tout cas la première qui m’a fait acheter un livre dont je n’avais jusqu’alors jamais entendu parler et qui m’a fait découvrir par la même occasion une librairie puisqu’alors seule la librairie du Québec à Paris le distribuait de ce côté de l’Atlantique. C’est plutôt une réussite et, s’il était encore besoin de me convaincre des bienfaits addictifs de BiblioChose, ça me donne envie de continuer à y pêcher certaines de mes lectures de demain !

61Cecilturtle
Jul. 21, 2012, 10:33 am

:-) - il faudra que je parle de cette libraire à ma mère à qui le Canada manque parfois.

62raton-liseur
Jul. 23, 2012, 5:24 pm

45. Les Dames de nage - Bernard Giraudeau
Une lecture laborieuse, que j’ai arrêtée à mi-chemin. L’écriture est plutôt belle, comme dans les autres livres de Giraudeau, son amour pour les mots est palpable. Mais ce genre de sujet, et la façon dont il est traité m’indiffèrent.
Le livre met en scène Marc Austère, double de Giraudeau, marin puis cinéaste. Il fait le portrait des femmes qui ont jalonné sa vie, confondant un peu trop à mon goût sexe et sensualité, amour et domination de l’autre. Cela donne un livre physique, brut, qui se veut un hommage aux femmes, mais qu’un voyage autour du nombril d’un être qui a mal de vivre et qui cherche un échappatoire illusoire dans l’autre, au risque de l’asservir plutôt que de le faire égal. J’avais beaucoup aimé Les hommes à terre, et je préfère garder cette image de Giraudeau, moins triviale, plus humaine.

63raton-liseur
Jul. 23, 2012, 5:25 pm

46. Contes de pirates - Sir Arthur Conan Doyle
– C’était un bandit, mais il était Anglais ! dit finalement le capitaine. Il a vécu comme un chien, mais, par Dieu, il est mort comme un homme ! (p. 63, “« La Claquante »”).
Cinq nouvelles de Conan Doyle, dans un style XIXème lisse et racontant des histoires aux chutes plutôt prévisibles (un comble pour le maître de l’intrigue qu’est Conan Doyle !). Mais une petite lecture de samedi au ciel gris bien agréable. Pas de la grande littérature, mais pas de quoi bouder son plaisir non plus !

64raton-liseur
Jul. 23, 2012, 5:26 pm

47. La deux fois morte - Jules Lermina
Etrange nouvelle qui laisse un sentiment de perplexité après sa lecture. Nouvelle qui représente bien la contradiction du XIXème siècle, qui oscille entre rationalisme progressiste et occultisme intriguant. Un homme perd sa femme et son grand amour, mais les forces obscures lui permettent de la faire revivre, son ami fait tout pour ramener l’homme à la rationalité, au risque de tuer ainsi une seconde fois l’être aimé.
Une œuvre rapide, ne révélant à mon avis ni un grand talent littéraire ni une grande imagination, mais un récit qui a réussi, et c’est très probablement son but, à me mettre mal à l’aise, et qui m’a fait toucher du doigt cet aspect du XIXème siècle qu’on n’évoque souvent qu’à mots couverts, honteux que le développement de la science ait pu encourager tant d’obscurantisme. La nouvelle tranche peut-être hélas un peu trop en faveur d’un des deux courants, elle aurait gagné à avoir une fin plus énigmatique…

65raton-liseur
Jul. 23, 2012, 5:28 pm

48. La fée des grèves - Paul Féval
La Fée des Grèves ! l’être étrange dont le nom revenait toujours dans les épopées rustiques, racontées au coin du foyer.
Le lutin caché dans les grands brouillards.
Le feu follet des nuits d’automne.
L’esprit qui danse parmi la poudre éblouissante des mirages de midi.
Le fantôme qui glisse sur les
lises* dans les ténèbres de minuit.
La fée des Grèves ! avec son manteau d’azur et sa couronne d’étoiles !
(p. 30, Chapitre 5, “Un Breton, un Français, un Normand”).
Ma foi de Dieu ! (puisqu’il paraît que c’est le juron préféré des Bas-Bretons, p. 182, Chapitre 27, “Le siège”), voici un livre de capes et d’épées tout ce qu’il y a de plus réjouissant ! Certes, on sait bien qui payera cher ses mauvais choix, qui épousera qui, le suspens n’est pas bien grand, mais l’histoire est si bien menée que l’on reste suspendu à la plume de l’auteur, tournant les pages les unes après les autres sans pouvoir s’arrêter.
Nous sommes en l’an 1450, alors que la Bretagne est encore pour quelques années « un rude et vaillant pays qui gard[e] son indépendance entre deux empires ennemis» (p. 230, Epilogue, “Le repentir”), dans la grande baie du Mont Saint-Michel, de part et d’autre de la frontière facétieuse du Couesnon. Une terre aux milles légendes rêvées et vécues (comme en attestent la myriade d’histoires toujours commencées et jamais finie de Frère Bruno, un Frère Tuck qui préfère le cidre à la bière), entre sables traitres et brume aveuglante, la terre de la Fée des Grèves, qui vient de réapparaître alors qu’une malédiction plane sur le duc de Bretagne et qu’un de ses chevaliers les plus valeureux est en fuite.
Si les personnages m’ont parfois rappelé les histoires de la Comtesse de Ségur, qui aime à nouer des amitiés fortes et sans barrières entre ses personnages mais prend toujours bien garde de laisser chacun à sa place dans l’échelle sociale (comme dans Pauvre Blaise, que je n’avais pas aimé parce que trompée dans mon attente de voir les deux amis d’enfance tomber amoureux, avant de comprendre que Madame née Rostopchine n’aspirait pas à être la Louise Michel des contes pour enfants. Mais, ma foi de Dieu, j’en veux toujours à Madame la Comtesse pour cette lecture funeste !), ce serait faire offense à Paul Féval que de s’arrêter à cela. Le plaisir de la lecture n’est pas dans l’histoire, même si elle tient en haleine, il est dans les belles descriptions d’un pays et de paysages qui tout à coup me manquent, entremêlés, car il ne faut pas tomber dans le pathos, d’une très agréable ironie qui croque Bretons et Normands avec les travers dont ils sont les plus fiers. Les Bretons sont courageux, fidèles, mais d’une superstition indécrottable (« On ne riait plus qu’à demi, parce qu’il ne faut pas parler longtemps de choses surnaturelles, quand on veut que les vrais Bretons restent gaillards. », p. 117, Chapitre 18, “Jeannin et Simonette”) ; les Normands sont ceux que seul l’or intéresse et dont les chevaux sont toujours pies, car même pour cela un Normand ne saurait trancher entre blanc ou noir…
Certes on peut voir dans cette ironie la condescendance dont la capitale fait alors preuve envers ces régions considérées comme arriérées (comme Gauguin qui quelques années plus tard ira en Bretagne chercher les sauvages, car c’est tout de même plus près que les Marquises !), mais on peut aussi y voir la fascination pour cette culture perdue (comme le montrent l’engouement pour les premiers folkloristes tels que Anatole le Braz ou de la Villemarqué).
Qu’importe ce que pensait alors Paul Féval, qui, né à Rennes se revendiquait breton (mais ça je ne l’ai vu qu’après avoir lu ce livre), intéressante posture pour l’époque. Qu’importe disais-je, car en tant que lectrice plus d’un siècle et demi après que ce livre ait été écrit, je sais que je me suis régalée de sa description de la terre à légende qu’est mon beau pays, ce pays où « les brouillards salés de l’Armorique détendraient vite les cordes de la vieille guitare d’Apollon. Le biniou seul, avec sa poche de cuir et sa nasillarde embouchure, supporte le rhume chronique de ces contrées » (p. 151, Chapitre 23, “Comment Joson Drelin but la rivière de Rance”). Je sais que je me suis régalée de ses petites piques qui rendent le chauvinisme ridicule et qui pourtant semblent le renforcer, allez savoir pourquoi… Un livre à lire pour un Breton qui veut rire de lui-même ou qui veut se gorger de noms et se souvenir, un livre tel une madeleine trempée dans l’eau salée, et un livre pour les non-Bretons qui voudront soit se moquer de cette gente à la tête bien dure, soit faire connaissance avec ces gens étranges, qui ont « de la gaieté, mais de la gaieté bretonne, qui donne aux noces même une bonne couleur d’enterrement » (p. 158, Chapitre 24, “Dits et gestes de frère Bruno”).
Couesnon, folle rivière, tu peux laisser le Mont en Normandie, nous gardons pour notre part la baie enchanteresse et les coquetiers** courageux et rêveurs, ils nous font plus riches que les ors de Saint-Michel.

* Les lises sont des sables délayés par l’eau des rivières ou des courants souterrains. (Note de l’auteur ou de l’éditeur).
** Pêcheurs de coques : les coques (palourdes) sont une sorte de diminutif des coquilles de Saint-Jacques. Elles abondent dans la baie de Cancale et autour du Mont. (Note de l’auteur ou de l’éditeur).

66raton-liseur
Aug. 6, 2012, 5:29 pm

49. Lettres de ma chaumière - Octave Mirbeau
Je me souviens d’avoir vu là, enfant, des champs couverts de récoltes, des prairies où les bœufs enfonçaient dans l’herbe jusqu’au ventre, des fermes coquettes d’où s’échappait, alerte et joyeuse, la bonne et rude chanson du travail. Au milieu de cette nature privilégiée, de ces riches moissons, le paysan vivait dans l’aisance et dans le bonheur, mais aujourd’hui tout cela est bien changé. (p. 126, “La Chasse, à M. Elémir Bourges”).
Je ne sais d’où je tiens cet a priori qu’Octave Mirbeau est un homme hautain. Eh bien la lecture de ce recueil de nouvelles semble me donner raison. Si ce livre s’est exporté au-delà de nos frontières hexagonales, je comprends pourquoi les Français sont considérés comme un peuple bougon et irascible.
Octave Mirbeau, misanthrope patenté fuyant la capitale et la vacuité de sa vie mondaine, s’installe à la campagne dans un endroit indéterminé qui fait penser à la Normandie ou à l’ouest de Paris, espérant y trouver la vérité du travail dur de la terre (tant que ce n’est pas lui qui travaille, mais il aimerait tant regarder les autres peiner, car là est la vraie vie), les sentiments rudes mais vrais (tant qu’il n’est pas question de lui, trop délicat pour de tels rapports humains). Mais quelle déception de trouver la campagne aussi corrompue que la ville. Il espérait le tableau de Millet et il trouve des scènes dignes de Jan Steen. Sous forme de lettres écrites à chacun de ses amis connus (Maupassant, Hyusmans et d’autres), et peut-être « à la façon de » (mais ma connaissance superficielle de la littérature ne me permet pas d’en juger, seulement de le soupçonner), il livre ses observations et ses sentiments, sous forme d’anecdotes ou de tableaux.

Hélas, cette lecture est bien poussive bien que je ne sois en général pas rebutée par les auteurs pessimistes ou ironiques. Mais rien, absolument rien ne trouve grâce aux yeux de Mirbeau et il le fait partager au lecteur avec un ton méprisant que je n’ai pas supporté. Son quant-à-soi, sa façon désagréable de faire comprendre qu’il est au-dessus de la mêlée, tout cela m’a dérangée, irritée, et j’ai eu du mal à terminer cette lecture.
Le seul point positif de la lecture d’un tel râleur est que, contre toute attente, il m’a fait penser que le monde actuel n’est finalement peut-être pas aussi mauvais qu’il y parait, en tout cas pas pire. S’il y a plus d’un siècle on parlait déjà de décadence dans les mêmes termes mais de façon plus ampoulée qu’on le ferait aujourd’hui (les sociologues des banlieues n’exposeraient pas mieux la situation que l’accusé de la nouvelle « L’Enfant » ; les réseaux d’influence qui gangrènent nos milieux politiques n’ont rien à envier à ceux décrits dans « La Chasse » et la guerre a toujours de beaux jours devant elle comme le montre la nouvelle « La guerre et l’homme »), si le monde apparaissait déjà comme perdu, c’est que soit notre agonie est plus longue que prévue, soit qu’il faut arrêter d’être un esprit chagrin et de croire que c’était nécessairement mieux avant. Ma conclusion, à la sortie de ce livre, et je ne suis pas certaine que Monsieur Mirbeau la partage, est que, certes l’homme ne progresse pas, mais il ne recule pas non plus, Sisyphe inconscient qui fait du sur-place depuis des siècles.

67raton-liseur
Aug. 6, 2012, 5:30 pm

50. Mafalda - Todas las tiras (Mafalda, l’intégrale) - Quino
Ah Mafalda, gentille petite Mafalda. C’est toi qui as provoqué mes premiers fous rires en espagnol …
Je n’ai donc pas hésité, maintenant que je me remets à l’espagnol, à me procurer, dans la langue originale ce qui pour moi est la quintessence de la bande dessinée dans la langue de Cervantès (je sais, je suis bien inculte). Je l’ai lu à petites doses, mais de bout en bout. J’y ai retrouvé des bandes que j’avais étudiées en classe, et j’en ai découvert plein d’autres, qui m’ont bien fait rire, qu’il soit question de politique, de condition de la femme, ou bien de soupe !
Dessinées entre 1964 et 1973, certaines de ces bandes sont aujourd’hui un peu dépassées : les blocs Est et Ouest se sont désagrégés, la situation de l’Argentine n’est plus la même, mais elles continuent à fleurer bon, ces réflexions ingénues d’une petite gamine haute comme trois pommes, même quand elles ont un arrière-goût de nostalgie.
Cette lecture exhaustive m’a aussi permis de connaître mieux certains des amis de Mafalda, car dans certaines bandes, celle-ci n’a pas le fin mot de l’histoire, voire elle n’est même pas présente. L’imagination de Felipe est rafraîchissante et, surtout, mon préféré peut-être, le cynisme hédoniste de Miguelito et son aplomb m’ont régalée. Et n’oublions pas Bureaucratie, la tortue de Mafalda (pas besoin d’expliquer pourquoi, si ?).
Quino a arrêté la publication des histoires de Mafalda en 1973, pour se consacrer à d’autres dessins, avec notamment une dénonciation de la pollution galopante qui donne lieu à des dessins qui font rire jaune, mais dont le message porte. Nous ne saurons donc jamais quelle adolescente insupportable Mafalda serait devenue !

68raton-liseur
Bearbeitet: Aug. 6, 2012, 5:40 pm

51. Voyage avec un âne dans les Cévennes - Robert Louis Stevenson
Quant à moi, je voyage non pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L’important est de bouger, d’éprouver de plus près les nécessités et les embarras de la vie, de quitter le lit douillet de la civilisation, de sentir sous mes pieds le granit terrestre et les silex épars avec leurs coupants. Hélas ! tandis que nous avançons dans l’existence et sommes plus préoccupés de nos petits égoïsmes, même un jour de congé est une chose qui requiert de la peine. Toutefois, un ballot à maintenir sur un bât contre un coup de vent venu du nord glacial n’est point une activité de qualité, mais elle n’en contribue pas moins à occuper et à former le caractère. Et lorsque le présent montre tant d’exigences, qui peut se soucier du futur ? (p. 47, Chapitre 2, “Cheylard et Luc”, Partie 2, “Le Haut Gévaudan”).
Livre lu dans le cadre du défi de lecture « Récits de voyages ». Voir note de lecture ici.

69raton-liseur
Aug. 6, 2012, 5:44 pm

52. Dans les sables du Taklamakan - Sven Hedin
Du sommet d’une dune, encore une fois nous examinons avec attention l’horizon. Pas la moindre tache sombre dans cette immensité jaune ! Pas un tamaris en vue ! Toujours la mer de sable infinie, gonflée de hautes ondulations rigides. (p. 58, Chapitre 2, “A travers le Taklamakan. (…)”).

De tous les côtés, de la surface ondulée du désert émergent des vestiges d’habitations admirablement conservés. Nous avançons, et d’autres ruines apparaissent encore. Les mythes légendaires des indigènes deviennent une réalité ; un passé vieux de dix siècles renaît devant nous. (p. 112-113, Chapitre 5, “Seconde traversée du Taklamakan. (…)”).

Livre lu en marge du défi de lecture « Récits de voyages ». Voir note de lecture ici.

70raton-liseur
Aug. 6, 2012, 5:48 pm

53. Suerte - L’exclusion volontaire - Claude Lucas
C’est la contradiction évidente entre le titre et le sous-titre de ce livre qui m’a d’abord attirée, puis ce regard en couverture. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, mais j’ai été destabilisée en trouvant un roman (certes très autobiographique), ce à quoi la collection Terre Humaine ne m’avait pas habitué. Je pensais aussi trouver plus une réflexion personnelle sur cette « exclusion volontaire » de la société, mais celle-ci se transforme vite en une réflexion sur le système carcéral et sur la récidive.
Cette lecture m’a donc déroutée et, même après avoir laissé passer quelques jours depuis que j’ai refermé ce livre, je ne sais toujours trop qu’en dire. Le style certes ne m’a pas plu, un style haché avec des jeux de mots qui se veulent lacaniens, très peu pour moi. Mais le contenu, sur un sujet que je connais peu, demeure intéressant et m’a amenée à me poser des questions sur le sens de la justice et de l’emprisonnement. La difficulté de concilier le mandat punitif de la privation de liberté et la nécessité de réinsertion implicite dans la disparition de fait des enfermements à vie. Je n’ai toujours pas d’opinion sur comment la prison devrait remplir sa mission, mais je pense que ce livre m’en fait mieux saisir la complexité.
Au fond, ce livre n’est guère positif, j’ai l’impression que la récidive est presque obligatoire, seules des conditions très particulières (et indépendantes des conditions de séjour en prison) peuvent l’éviter : avoir une famille et des contacts solides au-dehors, avoir une formation pré-existante. Au final, il semble que les truands arrêtent les braquages plus parce qu’ils vieillissent et ne veulent plus prendre trop de risques, plutôt que suite à l’influence d’un séjour de dix ans en prison… Est-ce cette position fataliste qui est la plus réaliste ? Ce livre m’en a presque convaincue.
Enfin, je reste marquée par l’attitude du personnage de ce livre, Christian Lhorme, double presque parfait de Claude Lucas, qui semble, dans ses jeunes années, avoir voulu sciemment gâcher sa vie. « Gâcher sa vie » est un jugement extérieur et socialement convenu, mais ne reflète pas la philosophie du personnage. C’est plus une constatation de l’absurdité de la vie et d’une incapacité à, ou une volonté de ne pas dépasser cette constatation. Puisque la vie n’a aucun sens, je n’en ferai rien, sciemment rien, et je laisserai le temps s’écouler, se perdre dans les sables stériles des jours vides qui se succèdent. Bien vite on voit que cette position philosophique est difficile à tenir et que le personnage n’est pas exempt de contradictions, mais, laissant mon esprit vagabonder plus loin que le livre, j’ai été prise de vertige en contemplant cette posture vis-à-vis de la vie et de notre société. Ce n’est pas mon choix, mais que dire de personnes qui décident ainsi de s’exclure volontairement ? Leur dire « Suerte », à la fois figure de tauromachie des toreros les plus hardis et salut en forme d’ironie aux prisonniers sur le point de quitter la vacuité de leur cellule pour retrouver un monde qui leur est encore plus étranger que lorsqu’ils l’ont quitté ?

71raton-liseur
Aug. 14, 2012, 3:04 pm

54. Malinche (Malinche*) - Laura Esquivel
« Cambiarán de forma nuestros ritos, será otro nuestro lenguaje, otras nuestras oraciones, distinta nuestra comunicación », le dijo Tonantzin, « pero los dioses antiguos, los inamovibles, los del cerca y del junto, los que no tienen principio ni fin, no cambiarán más que de forma. ».** (p. 213, Chapitre 8).
Malinche, personnage controversé s’il en est de l’histoire mexicaine. Malinche, la traître qui, amante de Cortés, lui a servi de traductrice et lui a livré l’empire aztèque. Dans ce roman biographique, Laura Esquivel, Mexicaine qui a fait la une des librairies avec son livre Como agua para chocolate, Chocolat amer, tente de montrer une réalité plus complexe. En huit chapitres, elle retrace les moments marquants de la vie de Malinalli, celle dont l’histoire se souviendra sous le nom dédaigneux de Malinche (bien que Laura Esquivel suggère que c’était en fait le surnom de Cortés, signifiant « le maître de Malinalli »).
Ce ne sont pas forcément les moments les plus marquants de la Conquista que Laura Esquivel choisit d’évoquer, et il m’a fallu quelques fois me référer à d’autres sources pour situer les évènements dans le temps et dans l’espace, ce qui en fait un livre destiné avant tout aux Mexicains et aux lecteurs d’Amérique latine (il faut espérer que la traduction française comporte quelques notes pour situer le lecteur). Le livre se concentre plutôt sur une évocation de la culture préhispanique, tant celle des Mexicas (le nom sous lequel les Aztèques sont ici plus connus) que des Mayas et des cultures qui leurs étaient rattachées et sur les tiraillements intérieurs de cette femme qui « portait sur ses épaules l’immense responsabilité de construire la conquête avec [le fluide sacré de] sa salive. »*** (p. 97, Chapitre 4).
Si je ne suis pas convaincue par la véracité historique des faits évoqués dans le livre (en particulier de voir les Aztèques comme les uniques responsables de l’introduction des sacrifices humains dans les pratiques religieuses), ce livre est un passionnant témoignage de l’historiographie telle qu’elle s’écrit pour les Mexicains : la Tula mythique, la religiosité qui imprègne chaque instant de la vie de ces hommes de maïs… Le propos du livre est avant tout le choc de deux systèmes religieux, après que l’illusion que Cortés était Quetzalcoatl revenant auprès de son peuple se soit dissipée, l’un cherchant à fondre l’homme dans les cycles naturels, où les dieux sont la réconciliation des contraires et les garants de l’ordre cosmique ; l’autre où hommes et où un dieu singulier vit hors du monde humain.
A ce titre, le dernier chapitre est très intéressant et donne au livre toute sa portée. Ayant lieu vers 1528, après que les principaux évènements de la Conquista se soient déroulés, il semble déconnecté du reste du livre du point de vue de la psychologie du personnage, mais il me semble caractéristique de l’historiographie mexicaine auquel ce livre participe. On déteste Cortés, on déteste la Conquista, mais il faut bien aimer ce qui en résulte, puisque c’est ce qu’est le Mexique aujourd’hui, où le sang pur n’existe pas, ou tout est métissage, syncrétisme, une culture unique qui ne peut que reconnaître les héritages aussi importants l’un que l’autre de deux cultures qu’il faut donc apprendre à aimer : « Le encantaba ver [a sus hijos] correr por el patio y jugar en el agua de las fuentes que recordaban a Tula y a la Alhambra por igual. Le gustaba que hablaran náhuatl y español. Que comieran pan y tortillas.**** (p. 203, Chapitre 8). Le livre ne dit pas comment il est possible de détester la Conquista mais d’aimer tous les sangs qui coulent dans ses propres veines et qui en sont l’expression directe. Peut-être n’est-ce tout simplement pas possible. Alors qu’importe s’il faut pour cela une pirouette conceptuelle que chacun fait bien attention de ne pas voir.
Sans être un livre d’une qualité exceptionnelle, Malinche est un témoignage intéressant, non sur un épisode passé mais sur sa lecture actuelle. Il me rappelle cette phrase de Neruda : « Se llevaron el oro y nos dejaron el oro » (« Ils nous ont pris l’or et nous ont laissé l’or »), opposant la soif des conquistadors pour les trésors matériels et le cadeau merveilleux de la langue espagnole qu’ils ont fait sans s’en rendre compte, cette langue qui a donné lieu à tant d’échanges et qui fait de Neruda le poète qu’il est. La Malinche est aussi cette figure ambivalente, celle qui précipite la fin d’un monde, mais qui est aussi la fondatrice d’un ordre nouveau et d’une grandeur à venir.

* A ma connaissance ce livre n’a pas été traduit en français. La traduction du titre est donc ma propre invention…

** Tentative de traduction : « Nos rites changeront de forme, notre langage sera autre, autres nos prières, différente notre communication », lui dit Tonantzin, « mais les dieux anciens, les dieux éternels, les dieux du proche et de l’ici, les dieux qui n’ont ni début ni fin, ceux-là ne changeront que de forme. »
*** Phrase originale : Malinche, que « cargaba sobre sus hombros la enorme responsabilidad de construir con su saliva la conquista. »
**** Tentative de traduction : « Elle aimait voir [ses enfants] courir dans le patio et jouer dans l’eau de fontaines qui rappelaient tout autant Tula et la Alhambra. Elle aimait qu’ils parlent náhuatl et espagnol, qu’ils mangent du pain et des tortillas. »

72raton-liseur
Aug. 20, 2012, 11:27 am

55. Monsieur Paul - Henri Calet
Je pense que j’ai eu tort de te faire venir en ce monde. Tu verras, ce n’est pas très drôle, quoi qu’on en dise. Te voilà, par ma faute, condamné à la peine de vie. Mais rassure-toi, ce n’est pas si long qu’il y paraît : tout a une fin. (p. 60, Chapitre 2, “2 Septembre 1949”).
Ai-je lu le même auteur à propos duquel j’avais vu de belles critiques, ai-je lu le même livre que celui qui a écrit la quatrième de couverture ? Je finis par en douter. Je m’attendais à un livre d’une tristesse poétique, qui saurait faire du sublime avec du quotidien. Non, je n’ai trouvé que du sordide et je n’ai pu me forcer au-delà de la moitié du livre. Quel gâchis pour un auteur que je croyais injustement oublié, mais j’ai maintenant changé d’avis…
Ce livre est une longue lettre qu’un père adresse à son fils qui n’a que quelques mois, pour lui laisser un témoignage sur les conditions de sa venue au monde, en espérant qu’il les lira quand il sera aussi âgé que son père et pourra donc le comprendre. Pris par le démon de midi, ce père a en effet quitté sa femme pour une jeunette qui ne la valait pas, qu’il n’aimait pas et avec qui les relations ont fini par dégénérer au-delà de l’acceptable.
Quelle littérature glauque et sordide que celle où un homme étale ses turpitudes sexuelles à son fils. Cette mise en scène de ces confidences m’a mise mal à l’aise pendant toute ma lecture. Je n’ai rien contre les romans qui décrivent des vies ternes ou des vies ratées, mais pas décrites sans relief et avec une sorte de complaisance qui veut faire croire que c’est la norme et que donc cela excuse tout.
Au vu d’autres avis de lecture, je me dis que je n’ai rien compris à ce livre, qui serait l’un des chefs-d’œuvre de Calet. Si c’est le cas, j’espère que des lecteurs mieux disposés que moi ne se laisseront pas rebuter par ces lignes, mais pour moi c’est suffisant, et c’est un auteur que je préfère oublier.

73raton-liseur
Aug. 20, 2012, 11:28 am

56. Los que odian y los que aman (Ceux qui haïssent et ceux qui aiment*) - Guillermo Vasquez Perez
C’est ce qui arrive quand on se retrouve en manque de livres et que l’on se retrouve à pêcher au hasard sur les étagères d’une librairie hondurienne dont on n’a jamais entendu parler avant. J’ai pris ce livre comme par défi, paradoxalement attirée par sa couverture qui me rappelle les polars de gare des années 60 comme les aime mon beau-père. Après cet achat bravache, je n’ai trouvé aucune trace de ce livre sur les sites littéraires que je fréquente, et je me suis dit que peut-être étais-je sur le point de découvrir une perle oubliée. Ce fut le cas.
Ce livre est une perle, de ceux qui pourraient figurer dans les « perles du bac » et autres listes de bêtises plus grosses que ceux qui les profèrent ! Il se résume en une phrase (attention, je vais dévoiler ici toute l’intrigue mais il y a peu de chance que ce livre soit jamais traduit en français et si par malheur il l’était, j’espère que vous passerez votre chemin…) : en dix chapitres, depuis le premier intitulé « le vomi » au dernier, « l’holocauste », un homme, écœuré par les difficultés de la vie prend la voix de la facilité comme exutoire à son amertume et devient un terroriste révolutionnaire mais celui ne le rend pas heureux ; lors d’une agitation sociale, sa fille meurt d’une balle perdue et il décide alors de se suicider mais a au dernier moment une révélation ; il se convertit à la vraie religion et, sortez les violons, devient un vrai apôtre du changement, jusqu’à y laisser sa vie.
Malgré tout, j’ai fini ce livre, car c’est la première fois que je lis un roman sud-américain anti-révolutionnaire et pro-régime. Je pensais que ces auteurs n’existaient tout simplement pas sur ce continent qui est le dernier ou l’on peut dire que l’on est communiste et ne pas être vu comme une bête curieuse et attardée. Il existe donc des romanciers pro-régime. Dommage pour la production littéraire nationale et mondiale que le premier que je rencontre soit aussi mauvais et fasse un prosélytisme tellement grossier qu’il en devient risible (et j’ai beaucoup ri lorsque l’ex-révolutionnaire, maintenant converti, fait son prêche devant le Sénat et redonne espoir au Président lui-même ; lorsque, victime d’un attentat – oui, cela aussi m’a fait rire… – il est explicitement comparé au Christ, plus grand révolutionnaire de tous les temps, sic).
Si les cinquante premières pages avaient été résumées en dix, ce livre aurait pu être une nouvelle intéressante. Le sujet est intéressant, et ce livre poserait les bonnes questions, s’il n’y apportait pas des réponses aussi caricaturales et didactiques. Mais dans sa forme actuelle, c’est un désastre. Je me demandais, au début de la lecture si c’était un neveu équatorien de Fujimori qui était derrière ce livre. Si c’est le cas, je comprends mieux que ces dirigeants finissent toujours dans la disgrâce à un moment ou à un autre.
Alors laissez-moi retourner à mes auteurs latino-américains des luttes paysannes et indiennes, des révolutionnaires déchus, qui ont tant de charme revendicatif et romantique. ¡Viva la Revolución! comme disait l’autre, et place à la belle littérature !

* A ma connaissance ce livre n’a pas été traduit en français. La traduction du titre est donc ma propre invention…

74raton-liseur
Aug. 20, 2012, 11:30 am

57. Le Capitaine Fracasse - Théophile Gautier
Maintenant, je sais que la version que j’ai lue adolescente était une version abrégée. Et pourtant, déjà à ce moment-là les descriptions m’avaient parues fastidieuses ! Théophile Gautier arrive en effet à délayer sur près de 600 pages en version poche une histoire somme toute très simple et plus que prévisible, qu’il agrémente, surtout dans la première moitié du livre, d’une litanie d’interminables descriptions. Etrange parti-pris d’auteur pour ce qu’on a coutume de qualifier d’un roman de cape et d’épée.
Je n’ai fini par trouver un certain intérêt à cette lecture que quand j’ai commencé à lire ce roman au second degré. Après l’avoir refermé, je préfère y voir un pastiche des grands romans à la mode à l’époque, avec des revirements de situation rocambolesques, des coïncidences tellement nombreuses qu’elles en sont de plus en plus invraisemblables, et son incontournable deus ex machina final. Gautier jours avec ses personnages, faisant de ce roman une scène de théâtre (aux indications scéniques plus développées que les dialogues !) qui met en abyme le théâtre ambulant dont ils sont les acteurs. Théâtre dans le roman, roman de théâtre, Théophile Gautier se préoccupe bien peu de rendre son histoire crédible ou de soigner la psychologie de ses personnages tout aussi caricaturaux que des pantins de la Commedia dell’arte.
En définitive ce roman, tant par son contenu que par son style, me semble avoir bien vieilli. Son intérêt aujourd’hui me semble plus résider dans le fait qu’il est le représentant d’un moment de notre histoire littéraire que dans ses qualités intrinsèques. Bien que l’on en fasse un classique pour la jeunesse, je ne me risquerais pas à la recommander à de jeunes lecteurs, qui risqueraient fort de s’ennuyer en compagnie de ce capitaine d’opérette !

75raton-liseur
Aug. 28, 2012, 8:57 pm

58. La rivière à l’envers - tome 1/2 - Tomek - Jean-Claude Mourlevat
L’histoire que voici se passe en un temps où l’on n’avait pas encore inventé le confort moderne. Les jeux télévisés n’existaient pas, ni les voitures avec airbags, ni les magasins à grande surface. On ne connaissait même pas les téléphones portables ! Mais il y avait déjà les arcs-en-ciel après la pluie, la confiture d’abricot avec des amandes dedans, les bains de minuit improvisés, enfin toutes ces choses qu’on continue à apprécier de nos jours. Il y avait aussi, hélas, les chagrins d’amour et le rhume des foins, contre lesquels on n’a toujours rien trouvé de vraiment efficace.
Bref, c’était… autrefois.
(p. 7, Prologue).
Un enfant qui a des fourmis dans les jambes, et qui un jour décide de partir à la recherche de la rivière qui coule à l’envers, plus par amour pour la demoiselle qui le précède que par désir d’accéder à l’immortalité. Pendant son voyage, il traversera de nombreuses contrées plus étranges les unes que les autres, et son courage lui permettra de vaincre tous les obstacles. L’oubli, le sommeil, l’éloignement seront les étapes qu’il devra vaincre pour atteindre la source qui donne accès à l’éternité, mais le livre ne s’appesantit jamais sur les questions philosophiques que peut poser cette quête, sinon à la toute fin lorsqu’est évoquée la question du désir de vivre éternellement.
Un livre au rythme enlevé, qui semble séduire de nombreux jeunes lecteurs et je les comprends. Pour une lecture d’adulte, je préfère la poésie et l’atmosphère énigmatique de L’Enfant Océan que j’ai découvert il y a quelques mois, mais je lirai avec plaisir le second tome de cette histoire (en réalité la même histoire, mais cette fois du point de vue de la jeune fille, Hanna) et je laisserai ce livre en évidence pour quand de jeunes lecteurs en herbe seront en âge de farfouiller dans la bibliothèque du Raton-Liseur !

76raton-liseur
Aug. 28, 2012, 9:05 pm

59. The Sandman - Numero 50 - Ramadan (Sandman - Ramadan) - Neil Gaiman
Certes l’histoire n’est pas mal, bien qu’avec quelques longueurs et beaucoup de clichés. Mais c’est un fait, ce type de bande-dessinée n’est pas pour moi. The Sandman est un classique du genre et j’ai commencé par cette histoire, recommandée par Monsieur Raton comme étant plus dans la veine que j’aime. Un coup d’épée dans l’eau, et un monument de la bande dessinée qui restera dans les limbes pour moi…

77raton-liseur
Aug. 28, 2012, 9:06 pm

60. Les Quatre Soleils - Jacques Soustelle
Bien difficile de rédiger une note de lecture pour ce livre qui n’est pas du tout ce que j’attendais. Je l’ai commencé en espérant comprendre un peu mieux les sociétés indiennes du passé et du présent au Mexique, sociétés que Jacques Soustelle, ethnologue aujourd’hui un peu oublié, a étudiées pendant une grande partie de sa vie. En réalité, il s’agit plutôt, de l’aveu même de l’auteur, d’un livre de souvenirs et de méditations que d’une monographie sur un groupe culturel ou un autre.
Passant en revue les différentes cultures auprès desquelles il a travaillé, Jacques Soustelle en révèle, avec une plume littéraire qui nous guide d’une main sûre le long de sa pensée lorsque l’on croirait se perdre, les faits saillants qui l’ont amené à développer sa propre conception de l’ethnologie. Il passe plus de temps à critiquer des théories ethnologiques (en particulier les tentatives de classification et de comparaison) qu’à proposer des alternatives, car selon lui, l’ethnologie est une science bien trop jeune pour élaborer une théorie globale.
Il propose cependant une vision qui pour moi est assez nouvelle et originale, et qui lui a été inspirée par le cas d’école que représente l’évolution des cultures et des civilisations sur le continent sud-américain avant et après la Conquista, une vision qui introduit deux nouvelles dimensions à l’étude ethnographique : on s’éloigne de l’étude en deux dimensions des monographies ethnologiques, les deux dimensions de la photo scientifique ou de la feuille de papier sur laquelle est écrite la thèse, pour introduire une troisième et une quatrième dimension. Celle du temps d’abord qui bat en brèche la notion des cultures « primitives », en plaidant pour la prise en compte de la formation d’une société et de l’évolution de ses structures. Les Lacandons et le relâchement de leurs règles matrimoniales en sont un exemple. Celle de la distance ensuite, avec la circulation de traditions et de concepts entre des sociétés que l’on considère souvent comme « pures », fonctionnant en vase clos et exemptes de toute contamination externe. La diffusion des sacrifices humains depuis la civilisation aztèque vers toutes ses voisines et jusqu’à la civilisation yucatèque (plus connue comme civilisation maya post-classique) après le Xème siècle de notre ère est là tout à fait parlante.
De nombreux autres aspects des travaux de Jacques Soustelle sont abordés, toujours pour appuyer sa construction d’une vision dynamique (dans le temps et dans l’espace) des cultures et de la science qui les étudie, l’ethnologie. Il est bien sûr aussi question de l’affrontement des civilisations avec la Conquista, et comment la civilisation Mexica (plus communément appelée aztèque) et les cultures alentour ont réagi pour aboutir à la synthèse particulière que l’on connait aujourd’hui.
Enfin, le livre se finit sur une note plus philosophique, sur le sens de l’histoire des civilisations et des cultures, sur le sens de la vie des hommes qui constituent ces cultures, et sur le sens du métier d’ethnologue. Une pensée qui m’a parue très proche de la philosophie de l’absurde développée par Camus, ce à quoi je ne peux rester insensible.

Jacques Soustelle est aujourd’hui peu connu, probablement en partie du fait de ses engagements politiques sans compromission et contestables durant les évènements qui ont précédé l’indépendance de l’Algérie, mais ce livre n’a rien à voir avec cela (même si je me suis demandé à un moment comment il réconciliait sa vision de l’ethnologie et sa prise de position en faveur de l’Algérie française, probablement par sa volonté d’enrayer le déclin de la civilisation européenne qu’il prophétise probablement à juste titre), et je pense qu’il est important de pouvoir dissocier l’appréciation de l’œuvre d’un auteur de l’auteur lui-même.
Je conclurai donc en disant que j’ai trouvé ce livre très stimulant, me faisant voir l’ethnologie, une science qui m’intéresse mais que je connais mal, de façon plus dynamique et plus riche. Je n’ai pas toujours été convaincue par des arguments qui m’ont paru à certains endroits plus faibles qu’à d’autres (comme sur l’apport de l’ethnologie pour mieux vivre notre société), mais je ressors de ce livre avec une pensée plus riche, plus étoffée, et, si je ne m’attendais pas à cela au début, j’ai pris un plaisir tout intellectuel d’un bout à l’autre de cette lecture.

78raton-liseur
Sept. 4, 2012, 8:18 pm

61. Lorsqu’un matin d’orage - Barbara Pym
Quel soulagement de ne plus avoir à se soucier que du manque de ponctualité de sa nièce, au lieu de se perdre en conjecture quant à la vie intérieure de sa dame de compagnie ! (p. 96, “Lorsqu’un matin d’orage”).
A cause de sa couverture et de son titre, je me suis laissée attirer par ce livre qui ne correspond pas à mes goûts habituels. Dommage que cette escape dans la littérature anglaise de la première moitié du XXème siècle n’est pas été concluante, mais les affres des jeunes filles à marier de la bonne société oxfordienne ou des filles de pasteur me laissent insensibles. Seule, sur les quatre nouvelles de ce recueil, celle qui donne son nom au livre m’a arraché un sourire du fait de son ironie toute britannique, mais mon chemin littéraire ne croisera probablement plus celui de Miss Pym, vieille dame anglaise à la plume caustique.

79raton-liseur
Sept. 4, 2012, 8:23 pm

62. Jean Villemeur - Roger Vercel
Eh bien, tu le croiras ou tu ne le croiras pas, et tu ne le croiras pas, parce que tu as comme tout le monde la tête bourrée de clichés, pour un marin qui a la mer dans la peau, qui donnerait toutes les femmes et la sienne pour son bateau, il y en a quatre-vingt-dix-neuf qui font le métier à regret et parce qu’ils ne sont pas bons à autre chose !... Pourquoi reste-t-on sur un bateau ? Dans neuf cas sur dix, parce qu’il n’y a pas de place pour vous à terre, j’entends une place où vous pouvez vous tenir. Ça, on ne le crie pas sur les toits, mais c’est la vérité tout de même !... Alors, tu crois que c’est une vie pendant trente, quarante ans parfois, tous les jours, tous les jours, de traîner le chalut en long et en travers, de regarder vider du poisson tous les jours ; et tout le jour ; jour et nuit ; hein ; tu crois que c’est une vie ?... De quoi as-tu profité, quand tu as fait ça, comme moi, neuf ou dix mois de l’année ? (…) Pour toi, c’est comme si la guerre durait toute la vie, avec des permissions… Alors ? Quand on est jeune, on est insouciant, (…). Mais quand on est vieux, ça change ! (p. 118-119, Chapitre 5).
Dans un style très avant-guerre fait de phrases sobres qui prennent le temps de se dérouler, Roger Vercel conte une histoire simple, où les descriptions du métier de pêcher la morue au chalut sont plus importantes que l’histoire elle-même. Vercel décrit la dureté du métier en le dépouillant de l’héroïsme dont on le pare souvent. Il ne reste que les engelures, le roulis et les gestes du trait et de l’éventrement du poisson. Il dépeint aussi par petites touches ce qui relie les hommes à leurs familles restées à terre, et l’impossible équilibre de vies plus souvent en mer qu’à terre.
Si avec Jean Villemeur, Vercel n’égale pas les meilleurs livres d’Henri Queffélec, cela demeure un bon livre pour les inconditionnels du genre et une vision bien plus sombre et dépouillée que les récits plus exaltés auxquels Jean Recher et d’autres nous ont habitués.

80Louve_de_mer
Sept. 5, 2012, 7:44 am

Très bien, la citation, et tellement vraie !

81raton-liseur
Bearbeitet: Sept. 12, 2012, 4:48 pm

#80 - Oui, j’ai beaucoup aimé cette citation, bien qu’elle tranche avec le romantisme dont les métiers de la mer sont souvent entourés. J’y retrouve le regard qui est aussi souvent porté sur mon propre métier, et qui, bien que dans un tout autre domaine et pour d’autres raisons, est souvent biaisé lui aussi. Je me retrouve un peu dans cette citation, c’est probablement pour cela que je l’ai choisie pour illustrer ce livre.
C’est pour ce regard désabusé si rare sur ce genre de sujet que j’ai aimé ce livre. Je l’ai aussi aimé parce que c’était un achat totalement fortuit : une des choses qui me manquent en ce moment, c’est de pouvoir fouiner dans les librairies d’occasion (ce qui me manque de la France change de temps à autres. Avant, c’était surtout alimentaire, les galettes au beurre par exemple…). Il y a bien un quartier (un seul, dans cette immense ville…) réputé pour ses librairies d’occasion, mais les livres en français n’y pullulent guère, et je limite les achats en espagnol tant que mon niveau n’est pas meilleur. Alors, quelle ne fut pas notre surprise, à Monsieur Raton et à moi, de trouver, un samedi après-midi que nous étions dans ce quartier, Roger Vercel, Edouard Peisson et Henri de Monfreid pas loin l’un de l’autre sur le coin francophone des étagères de la librairie A través del espejo. Je ne sais où ils étaient allés s’approvisionner récemment, dans quelque librairie sentant l’ailleurs et les embruns…
J’ai lu ce livre de Vercel le lendemain de notre achat (ce n’est pas son plus connu, mais j’en lirai d’autres, ne serait-ce que pour savoir si ce regard désabusé et lucide est une constante chez lui, ou seulement le fait de ce livre). Pour les deux autres, je prends un peu de temps, je les laisse s’habituer aux étagères, rien que pour savourer le plaisir de savoir que je les lirai bientôt !

82raton-liseur
Sept. 12, 2012, 4:42 pm

63. Du Domaine des Murmures - Carole Martinez
Il paraît que j’avais un air particulièrement concentré en lisant ce livre. J’ai toujours un air concentré, buté quand je lis, mais cette fois c’était un air sévère, fermé. Parce que ce livre requiert l’attention du lecteur à chaque mot, pour en extraire toute la signification et toute la poésie. J’ai pourtant entamé ce livre avec une certaine réticence. Après la lumineuse, l’aveuglante lecture de Cœur cousu, j’ai, comme beaucoup, attendu avec impatience le nouvel opus de Carole Martinez. Mais quand il est sorti, j´’ai eu peur d’être déçue et j’ai retardé jusqu’à il y a quelques jours le moment de l’ouvrir enfin.
Sachant que c’était un livre que je lirai un jour, j’ai ostensiblement évité de lire les critiques et ai à peine survolé le résumé. Je savais donc seulement qu’il était question d’une jeune noble de province qui refuse le mariage voulu par son père et obtient d’être emmurée dans une minuscule cellule adossée à la chapelle du château des Murmures, d’être enterrée vivante pour se consacrer à Dieu. Et je n’en dirai pas plus, car le plaisir de la découverte au fil des paragraphes a été trop agréable pour que j’en prive d’autres lecteurs.
Le choix de ce sujet, celui de faire parler une recluse volontaire au crépuscule du XIIème siècle, au beau temps de la chevalerie sauvage et de la folie des croisades, m’a d’abord intimidé, désarçonné. Pourtant encore une fois, la plume de Carole Martinez sait allier avec brio simplicité et poésie. Et l’on goûte les mots et la confession de cette recluse qui nous parle par-delà les siècles avec le même plaisir que l’on boit à même un ruisselet d’eau clair.
En deux cent pages rapides, où j’ai trouvé qu’il y avait presque trop d’action pour que se déploie pleinement l’écriture de Carole Martinez, sont évoqués tout à la fois la liberté d’être soi dans un monde codifié jusqu’à la sclérose, le besoin de se forger une croyance, l’étrange capacité de l’individu à évoluer, et bien plus encore.
D’abord naïf, Esclarmonde devient tour à tour un personnage exalté, puissant, déstabilisé, rebelle et ne cesse d’évoluer. Après s’être emmurée vivante, elle accède à une liberté jamais rêvée, avant de devenir prisonnière de son propre personnage, une cellule dont on sort encore moins facilement. De même, ce livre change de physionomie et ne délivre pas un message unique. Chacun trouve probablement ce qui lui ressemble. J’y ai trouvé l’idée que l’on peut être plus que ce que l’on souhaite si l’on prend courage et risques, si l’on accepte de se laisser traverser par les évènements, l’inattendu, si l’on est assez humble pour apprendre et changer. Je ne suis pas sûre d’être toujours capable de cette simple capacité à vivre pleinement et en tout instant, mais la promesse que porte ce lointain horizon est comme une fenestrelle dans un mur de pierre, une vision qui par son intensité va bien au-delà de ce qui est directement visible aux yeux.

83Louve_de_mer
Sept. 13, 2012, 7:46 am

Henri de Monfreid ! J'en ai 10 (pas tous lus...) mais pas celui que tu viens d'acheter. J'aime beaucoup. Même quand il raconte ses voyages ça ressemble à un roman tellement il lui arrive d'aventures. Vraies ou fausses, je ne sais pas, mais elles rendent la lecture palpitante.

84raton-liseur
Okt. 15, 2012, 5:06 pm

64. De la brièveté de la vie - Sénèque
Nous n’avons pas trop peu de temps, mais nous en perdons beaucoup. La vie est assez longue, elle suffirait, et au-delà, à l’accomplissement des plus grandes entreprises, si tous les moments en étaient bien employés. Mais quand elle s’est écoulée dans les plaisirs et l’indolence, sans que rien d’utile en ait marqué l’emploi, le dernier, l’inévitable moment vient enfin nous presser : et cette vie que nous n’avions pas vue marcher, nous sentons qu’elle est passée. (p. 2, Ligne 3, Chapitre 1).
Certes ce livre est un petit classique de la pensée stoïcienne, et, écrit vers 50 avant notre ère, il faut savoir le replacer dans son contexte philosophique et littéraire (ce que je ne suis pas la meilleure placée pour faire). Mais je dois avouer que, même en prenant ces précautions, je n’arrive qu’à être agacée par ces livres d’idées qui ne sont pas des démonstrations mais plutôt des sermons. Si l’on n’est pas d’accord d’emblée avec la pensée de Sénèque, ce ne sont pas ces lignes qui convaincront car elles ne prêchent qu’aux convaincus.
Quant au fond, je dois avouer que cette conception très étroite de ce qu’est une vie réussie (ou une vie tout court d’après Sénèque, le reste n’étant que temps qui passe) ne me convainc pas du tout, refusant tout ce qui n’est pas réflexion philosophique et prônant ce qui ressemble fortement à un égoïsme sans borne.
Une lecture instructive, je suppose, mais qui ne me réconcilie pas avec la philosophie et les philosophes.

85raton-liseur
Okt. 15, 2012, 5:08 pm

65. Contes de Bretagne - Paul Féval
Cet ouvrage regroupe trois longues nouvelles publiées en 1878 et que Paul Féval aurait entendues conter au coin de quelque feu de veillée par Job-misère, qui payait ainsi son gîte et son couvert comme beaucoup de vagabonds de cette époque.
Comme une grande part de l’œuvre de Paul Féval (pas la plus connue il est vrai), ces nouvelles sont frappées au coin du folklorisme breton. Si la première m’a paru un peu plate (probablement pas assez bretonne…), les deux autres, sans être de la grande littérature sont très agréables à lire. La deuxième, Anne des Iles, certainement celle que j’ai préférée, se passe au milieu des rochers acérés de l’île de Sen (ancienne graphie de l’île de Sein) et aborde un sujet curieusement (je suis ironique ici…) tu dans le folklore breton d’aujourd’hui, celui des naufrageurs. Rien que pour cela, et pour sa fin loin du traditionnel « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants », elle vaut quelques instants de lecture.

Publiées quelques années après le virage religieux de Paul Féval, ces nouvelles n’en ont pas trop souffert, même s’il faut bien noter que dans l’une il est question de la victoire du christianisme sur le paganisme et dans une autre de guerre de religion (une nouveauté pour moi, en Bretagne), et les bons sont bien sûr toujours du bon côté de la religion aussi.
Plus une réminiscence des légendes que je connaissais déjà qu’un livre qui m’a fait découvrir de nouveaux pans de la culture bretonne. C’est comme une petite madeleine pour ceux qui ont eux-mêmes entendu des légendes similaires, les autres risquent de s’ennuyer un peu et je conseillerais de commencer par La Fée des Grèves, dont le style caustique est bien plus amusant.

86raton-liseur
Okt. 15, 2012, 5:10 pm

66. Le Père Noël supplicié - Claude Lévi-Strauss
Quand il est question d’ethnologie, il est souvent question de sociétés éloignées de nous par les kilomètres et le mode de vie. Cet article est intéressant parce qu’il applique à nous-mêmes les techniques habituellement appliquées à d’autres.
Et ce que je retiens c’est surtout que, de fil en aiguille, on étire le raisonnement peut-être un peu trop. L’analyse de la valeur du don dans l’évolution des traditions de Noël, je suppose que c’est normal. Mais comment relier le Noël moderne avec notre rapport quasi psychanalytique à la mort.
Je dois avouer qu’en définitive, s’il est amusant de noter que les cris d’orfraie de l’Eglise quant à la paganisation de Noël ne datent pas d’hier, je suis un peu déçue de la ténuité du raisonnement de Lévi-Strauss et je garderai l’œil ouvert pour essayer de ne pas me faire avoir par des démarches similaires dans des civilisations qui me sont moins familières.

87raton-liseur
Okt. 15, 2012, 5:13 pm

67. La Mare au Diable - George Sand
Quand je l’eus regardé labourer assez longtemps, je me demandai pourquoi son histoire ne serait pas écrite, quoique ce fût une histoire aussi simple, aussi droite et aussi peu ornée que le sillon qu’il traçait avec sa charrue.
L’année prochaine, ce sillon sera comblé et couvert par un sillon nouveau. Ainsi s’imprime et disparaît la trace de la plupart des hommes dans le champ de l’humanité.
(p. 18, Chapitre 2, “Le labour”).
La Mare au Diable est l’un des premiers romans que George Sand a écrits dans la veine champêtre qu’a affectionné la Dame du Berry. Au primaire, je n’avais pu dépasser la page vingt, ne pouvant comprendre l’intérêt d’un livre commençant par la description interminable d’un laboureur traçant son sillon. J’ai aujourd’hui changé d’avis après avoir passé un moment bien agréable en compagnie du bon Germain et de la petite Marie. Une historiette bien prévisible, qui exalte les bons sentiments, mais dont le charme désuet réside dans les descriptions comme des pierres polies et dans le regard attendrissant de naïveté que l’écrivain porte sur ce milieu qu’elle idéalise.
Un témoignage intéressant de l’époque, mais aussi une mise en perspective de notre propension à penser que tout part à vau-l’eau et que les traditions étaient plus belles avant. George Sand pensait déjà cela il y a cent cinquante ans et chantait les charmes d’un paradis et d’une innocence qu’elle craint perdus.

88raton-liseur
Nov. 9, 2012, 9:54 am

68. Les trois nuits de fer - Knut Hamsun
Cette paix si douce qui se jette contre mes oreilles, c’est le sang de la nature qui bout, Dieu alliant mon existence à celle de l’univers. – Un filet de la lumière de mon feu brille à mes regards, j¡entends les rames d’un bateau frapper l’eau du port, une aurore boréale glisse du ciel vers le nord. Oh ! par mon âme immortelle, je remercie aussi, car c’est moi, bien moi que voilà assis en ce lieu. (p. 16).
J’ai téléchargé ce livre sur le site de la Bibliothèque électronique du Québec, curieuse de relire un livre de Knut Hamsun après tant de temps, désireuse de retrouver le plaisir que j’avais eu en découvrant Vagabonds, acheté d’occasion parce que le titre me plaisait dans une édition de poche qui n’avait pas même de quatrième de couverture (oui, j’avoue que je ne savais pas alors que j’achetais pour quelques centimes d’euros le livre d’un Prix Nobel…).
J’ai été déçue en m’apercevant que Les trois nuits de fer est une seule et unique nouvelle. Bien difficile de donner un avis sur un texte si court, lu comme un intermède entre d’autres lectures plus conséquentes. J’y ai aimé les descriptions de la nature et la façon dont celle-ci reflète les états d’âme du narrateur, mais je dois avouer que je n’ai pas saisi le contexte de cette nouvelle, qui m’a laissée perplexe. Je relirai Knut Hamsun dans des textes plus longs pour retrouver la beauté des terres du nord et la magie de sa plume, de ses descriptions et de ses personnages attachants.

89raton-liseur
Bearbeitet: Nov. 9, 2012, 10:00 am

69. Le Joueur d’échecs - Stefan Zweig
On ne nous faisait rien – on nous laissait seulement en face du néant, car il est notoire qu’aucune chose au monde n’oppresse davantage l’âme humaine. (…) On n’avait rien à faire, rien à entendre, rien à voir, autour de soi régnait le néant vertigineux, un vide sans dimensions dans l’espace et dans le temps. On allait et venait dans sa chambre, avec des pensées qui vous trottaient et vous venaient dans la tête, sans trêve, suivant le même mouvement. Mais, si dépourvues de matière qu’elles paraissent, les pensées aussi ont besoin d’un point d’appui, faute de quoi elles se mettent à tourner sur elles-mêmes dans une ronde folle. Elles ne supportent pas le néant, elles non plus. On attendait, recommençait á attendre. Il n’arrivait rien. A attendre, attendre et attendre, les pensées tournaient, tournaient dans votre tête, jusqu’á ce que les tempes vous fassent mal. Il n’arrivait toujours rien. On restait seul. Seul. Seul. (p. 28-29).
Ayant lu un peu par hasard quelques lignes résumant le sujet de ce livre, je me suis laissée entraîner dans sa lecture, bien que ce ne soit pas là mon genre habituel. L’idée est bonne, celle de faire s’affronter deux attitudes face au jeu d’échec, ce roi des jeux de stratégie, et surtout de parler, par ce biais, de la torture morale que sont l’enfermement, la solitude et l’ennui. Les ressorts sont intéressants, mais hélas, je suis restée sur ma faim, trouvant que tout le potentiel de l’idée originale n’était pas utilisé à sa juste mesure. Et je ne suis pas de ces lecteurs qui aiment qu’on leur suggère les choses sans mener les raisonnements ou les idées jusqu’au bout.
Je n’ai donc pas été réellement conquise par cette œuvre, dont j’imagine que le propos n’est pas celui qui apparaît de prime abord et dans laquelle il faut voir une métaphore qui m’a échappé car je ne connais pas assez la vie et le personnage de Stefan Zweig pour replacer ce dernier court roman dans son contexte, celui de la seconde guerre mondiale qui poussera Zweig à se suicider quelques mois après l’écriture de ce roman, publié à titre posthume. Un livre qui demande un peu de culture livresque donc ; le lecteur lambda que je suis passe la main.

90raton-liseur
Nov. 9, 2012, 9:58 am

70. Le Faucon de Malte - Dashiell Hammett
Il est parfois bon de s’essayer à des lectures dont on n’est pas familier. Mais parfois on reste éloigné de certains genres à raison. Il semble que ce soit le cas pour moi pour tout ce qui touche de près ou de loin au genre policier. Toutes les incursions que je fais dans ce domaine se traduisent par un cuisant échec. Il me semblait important de commencer cette note de lecture par ce préambule, avant d’avouer ma totale incompréhension face à ce livre, qui est un classique du genre.
Le genre « hard boiled » (habituellement traduit « dur à cuire » en français, mais cela perd de sa saveur), dont Dashiell Hammett est un précurseur, qui tranche avec les enquêtes bourgeoises d’Agatha Christie et consorts, pour nous entraîner dans les quartiers louches, sur les pas de personnages manipulateurs et ambigus.

Dans ce livre fondateur du genre, tous les ingrédients sont là. Le détective privé dont la moralité n’est jamais claire mais dont la condescendance vis-à-vis des femmes est bien avérée, les policiers pas trop intelligents, les malfrats qui n’ont ni loyauté ni froid aux yeux et bien sûr la femme belle et manipulatrice. Mais tous ces ingrédients ne se nouent jamais en une intrigue. Le livre n’est fait que de coups de fil, de déplacements d’un lieu à un autre et de quelques confrontations musclées. Je n’ai rien compris aux personnages qui me semblent agir de façon tout à fait irrationnelle. Et enfin, le style est d’une platitude confinant au néant.
En un mot, je suis complètement passée à côté de ce roman qui est censé être un monument du genre. Moi qui voulais m’encanailler dans les bas-fonds de San Francisco, je suis restée complètement hors de l’histoire.

91raton-liseur
Nov. 9, 2012, 11:01 am

71. Le Moine Fou - Vink
L’intégrale 1 / 2 - He Pao, joyau du fleuve - Tomes 1 à 5
L’intégrale 2 / 2 - Poussière de vie - Tomes 6 à 10

Le Moine Fou, ou comment faire dix albums de BD sans le personnage qui lui donne son titre… Alors que la dynastie des Song fléchit sous les coups de boutoir des Jin et le lent minage des luttes internes, une jeune fille se retrouve l’unique dépositaire d’un art martial développé par ce fameux Moine Fou. Art martial spectaculaire qui attire les convoitises en ces temps troublés, soit pour se l’approprier soit pour l’annihiler. Mais ce que l’on sait moins, c’est que cet art rendrait fou ses adeptes et, surtout, qu’il contient au cœur de sa philosophie une interdiction de tuer (sous peine de mort pour son adepte peu regardant).
He Pao part donc dans une quête pour trouver l’inventeur de cet art martial, pour mieux comprendre et pour peut-être lever la malédiction de cette folie. Chaque tome relate une péripétie qui lui arrive sur le chemin de sa quête, avec un certain nombre de personnages récurrents qui donnent une continuité au tout.
Un livre sans grande prétention narrative. Les histoires sont simples, voire simplistes, et il n’y a pas de véritable progression ou cheminement personnel de la part du personnage principal. Peut-être est-ce même une erreur d’avoir lu les dix tomes d’un coup. Il est probablement plus indiqué de les lire au gré d’autres lectures, et, plus que de vouloir connaître le fin mot de l’histoire, se laisser emporter par les dessins qui empruntent autant aux aquarelles chinoises qu’aux standards européens. Un livre à lire nous pour voguer sur les mots, mais pour voler sur les traits de crayon et régaler ses yeux.

92raton-liseur
Bearbeitet: Nov. 9, 2012, 11:04 am

72. Thursday Next - Tome 5 - Le début de la fin - Jasper Fforde
C’est douze ans après la fin du dernier tome que l’on retrouve Thursday Next, installée dans une vie bien tranquille auprès de son mari et de ses trois enfants, c’est du moins ce que laissent penser les apparences...
Ce tome est bien différent des précédents, moins uchronique (si je peux me permettre ce qui ressemble à un néologisme) que les précédents puisqu’il y est question entre autres de télé-réalité et de baisse vertigineuse de l’intérêt pour la lecture, des phénomènes qui sentent par trop le vrai. Heureusement, il nous reste les plongées dans le Monde des Livres et les aberrations temporelles des voyages dans le temps !
Je suis presque étonnée que ce tome ne marque pas le point final de la série, car il ressemble plus à un baroud d’honneur qu’à un épisode dans les aventures mouvementées de notre détective littéraire de choc. Peu d’action, mais tous les personnages sont là, toutes les ficelles sont à nouveau utilisées. Jasper Fforde réussit tout de même à continuer à étonner ses lecteurs, et on continue à beaucoup apprendre sur le Monde des Livres et son fonctionnement. J’ai surtout regretté que les références littéraires me soient moins accessibles que dans les tomes précédents ; je ne connais pas assez bien la littérature anglaise du XIXème siècle, que ce soit la poésie ou les œuvres secondaires de Jane Austen pour profiter pleinement des allusions qui foisonnent dans ce roman.
Ce livre est indéniablement fait pour les inconditionnels de la série, il faut s’être déjà frotté aux différents personnages pour l’apprécier au mieux. Une lecture plaisante, pour laquelle il n’est pas besoin de convaincre les lecteurs : ceux qui aiment Thursday Next le liront et attendront avec impatience les tomes non encore traduits en français, ceux qui ne la connaissent pas pourront commencer avec le jubilatoire L’Affaire Jane Eyre !

93raton-liseur
Nov. 9, 2012, 11:08 am

73. Naufragé volontaire - Alain Bombard
Livre lu dans le cadre du défi de lecture « Récits de voyages ». Voir note de lecture ici.

94raton-liseur
Bearbeitet: Jun. 18, 2013, 3:27 pm

74. Después de la nieve (Après la neige*) - Sophie D. Crockett
Creo que si la cosa es no quiero seguir vivo o quemar un libro para seguir vivo, todo el mundo va a quemar un libro. Porque el libro sólo es una idea, eso es lo que dice Patrick. Una idea está bien, pero no es lo mismo que seguir vivo. (p. 63, Chapitre 10).
Ce livre à la couverture inquiétante était plein de promesses. Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec La Route de Cormac McCarthy, mais ici dans le genre littérature jeunesse. Est-ce que le fait que je n’ai pas particulièrement aimé La Route explique ma grande déception à la lecture de ce livre ? Je ne le pense pas, car les raisons en sont différentes, mais le fait est là, une lecture pour rien si j’ose dire.
Le livre s’ouvre dans un monde post-apocalyptique, dans une Angleterre enfouie sous la neige. Willo, qui vit loin de la ville, en marge de la société régie par le gouvernement, voit sa famille emportée par un camion de ce même gouvernement pour une raison qu’il ne saisit pas. Il devra dorénavant survivre seul dans ce monde et entreprendra un voyage pour tenter de retrouver les siens. Ce voyage sera aussi un voyage initiatique qui mettra Willo à l’épreuve de dilemmes moraux et lui feront découvrir jusqu’où peuvent mener les stratégies de survie.
Un sujet passionnant, et rarement traité dans la littérature jeunesse. Mais l’auteur passe complètement à côté de la réflexion qu’elle pourrait soulever, pour nous donner un livre sans rythme et sans intrigue (les quelques questions, telles que la nature de ce gouvernement post-apocalyptique ou les raisons de cette catastrophe ne sont pas même éclaircies), parsemé de scènes extrêmement dures et crues purement gratuites.
Un livre sensationnaliste mais au final vide. A ne certainement pas lire avant quatorze ou quinze ans, mais je dirais plutôt, à ne pas lire du tout. Il existe d’autres livres qui dérangent, mais qui eux ne sont pas creux. Passez votre chemin, que celui-ci soit enneigé ou pas.

* A ma connaissance ce livre n’a pas été traduit en français. La traduction du titre est donc ma propre invention…

** Tentative de traduction personnelle : « Je pense que si le choix est « Je ne veux pas vivre ou je brûle un livre pour continuer à vivre », tout le monde brûlera un livre. Parce qu’un livre n’est qu’une idée, comme le dit Patrick. Une idée, c’est bien, mais ce n’est quand même pas comme continuer de vivre. »

95raton-liseur
Bearbeitet: Apr. 26, 2013, 3:56 pm

75. La rivière à l’envers - tome 2/2 - Hannah - Jean-Claude Mourlevat
Elle était là, à mes pieds, large et sereine. Silencieuse. La rivière Qjar, qui coule à l’envers… Ces mots prononcés par le conteur m’étaient destinés, je l’avais toujours su. Et j’avais cru en cette rivière prodigieuse dès la première seconde, sinon où aurais-je trouvé la force d’avancer sans cesse, de franchir la montagne, le désert, la forêt, l’océan ? Mais maintenant que je l’avais atteinte, que je la voyais de mes yeux, que je pouvais la toucher de mes doigts, boire son eau, je me sentais stupéfaite et incrédule. (p. 143, Chapitre 14, “L’eau de la rivière Qjar”).
J’ai lu ce second tome avec plus de plaisir que le premier. J’y ai retrouvé, l’espace d’une heure ou deux, la calme douceur de la plume de Mourlevat. Il plaira peut-être moins aux grands enfants qui en sont les destinataires initiaux, car il ne se passe pas grand chose, c’est plus un livre qui chemine, au pas serein du voyage.
Il y a bien sûr des rencontres, celles de la Route du Ciel et du désert étant probablement les plus belles, mais j’aime ces héros qui réussissent par leur espoir et leur persévérances, pas parce qu’ils sont plus rusés ou plus forts. J’aime cette philosophie qui n’est jamais dite mais qui montre que chacun peut être un héros et qu’une quête n’est pas nécessairement faite d’épreuves, mais plutôt de rencontres, de découverte de soi comme le sont beaucoup de voyages, et de bonheur simple.
Encore un très bel opus de Mourlevat, et je continuerai à suivre cet auteur au charme calme et tendre, dont je suis heureuse qu’il ait tant de succès dans les écoles.

96raton-liseur
Jun. 11, 2013, 3:24 pm

76. El Llano en llamas (Le Llano en flammes) - Juan Rulfo
Quel recueil de nouvelles merveilleux ! Cela fait plus de dix ans que j’ai envie de lire ce livre, dont j’avais entendu parler lors de ma première visite au Mexique. Je ne sais pourquoi je ne l’ai pas lu avant, mais je ne regrette pas d’avoir attendu de mieux connaître ce pays avant de me plonger dans ces dix-sept nouvelles, car j’ai alors pu les savourer, et y retrouver toute la mélodie âpre des grandes étendues désertiques de ce pays mystérieux. Ces zones moins connues bien qu’elles représentent la plus grande part du territoire, occultées derrière les images plus habituelles des civilisations des zones plus tropicales.
Chaque nouvelle est un mélange à des degrés divers de fatalité, de douceur, d’inexorable, de dureté et de poésie. Ma note de lecture ne saurait rendre compte de la beauté de ces textes qui sont, sans emphase, comme des diamants dans leur gangue.
Pour ceux qui lisent l’espagnol, le texte est encore plus beau dans la langue originale, il a toutes les saveurs du parler local, avec des « mexicanismes » qui n’ont pu être retranscrits dans la traduction française, que je trouve moins fluide que l’original et ne retranscrivant pas toute la poésie simple de la langue de Juan Rulfo.
Malgré le tout petit nombre de textes de Juan Rulfo, il est considéré comme un grand nom de la littérature mexicaine. Je ne découvre avec ce recueil, qui est aussi sa première publication, et je suis moi aussi sous le charme. C’était un autre temps, celui du brigandage et des révolutions, de la vie dure et sans autre loi que celle du plus fort et du plus ambitieux, mais si les histoires sont celles d’un hier qui a connu bien des mutations, c’est toujours une image de ce qu’était le Mexique, et de ce qu’il est.

97raton-liseur
Jun. 17, 2013, 2:11 pm

77. Créer des liens - Cécile Flé
Très déçue par ce livre dont j’attendais beaucoup plus et beaucoup mieux. Il est sensé parler de comment aider à la formation du lien entre parents et enfants adoptifs. Il parle finalement très peu de cela et prône un mode éducatif avec lequel je ne peux être d’accord. D’accord pour éviter les fessées et autres violences physiques, pas d’accord pour qu’une mère devienne l’esclave de son enfant en devant être a son écoute à tel point quelle en met sa vie entre parenthèses et quelle doit s'en oublier totalement elle-même.
De plus, le propos du livre est relativement limité. D’abord, il semble principalement s’attarder au cas des enfants adoptés très jeunes, tout juste quelques mois. Quand on connait un peu le paysage de l’adoption aujourd’hui, cela concerne bien peu de monde. Et de toute façon, je ne vois pas où ce livre traite de la spécificité du lien dans l’adoption, sinon de l’éducation d’un jeune enfant en général. Ensuite, on dirait que seule la mère a un devoir éducatif. Le père est certes nommé, entre parenthèse, en passant, du style : « La mère (le père) doit … ». Heureusement que le partage des tâches est passé par là !
Enfin, et ce n’est pas son moindre défaut, j’ai trouvé ce livre très culpabilisant sous ses dehors « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Jai l’impression que le message est qu’il suffit d’être suffisamment à l’écoute de son enfant pour savoir comment l’éduquer au mieux (toujours dans un cadre de principes éducatifs Bisounours, si je peux me permettre cette pique). En gros, si je rencontre des difficultés à éduquer mon enfant, à créer un lien avec lui, à calmer les blessures et les angoisses issues de son abandon et de son histoire, c’est que je ne suis pas assez à l’écoute ; je suis une mauvaise mère (père). Très rassurant, très constructif !
Il y a certes quelques idées à prendre dans ce livre, et chacun peut y piocher quelques astuces, mais il me semble qu’il y a mieux sur le sujet, plus intéressant et plus constructif.

98raton-liseur
Jun. 17, 2013, 2:12 pm

78. Lune noire - John Steinbeck
Lune Noire aborde un thème peu souvent abordé dans l’œuvre de Steinbeck, celle de la guerre et de l’occupation. Il n’est pas fait allusion au nazisme et à ses exactions bien particulières, mais la date de publication, 1942 dans sa version en anglais, ne laisse guère de doute quant au message de l’auteur.
Lune Noire décrit l’invasion et l’occupation d’un petit village tranquille, que les occupants veulent contrôler pour utiliser ses ressources minières. Petit village sans histoire qui n’était absolument pas préparer à faire face à une invasion, c’est d’abord l’incrédulité qui domine. Puis peu à peu, émergent les figures de la résistance passive, puis un réseau qui se structure. Toujours les occupés sont décrits dans leur dignité, et les occupants comme des marionnettes d’un pouvoir et d’une volonté qui n’est pas la leur.
Très court, surtout à l’aune des livres phares de Steinbeck, il n’est pas possible de lire ce roman sans faire un rapprochement avec Le Silence de la mer de Vercors, publié la même année, aux Editions de Minuit qui publieront aussi la traduction française de ce roman de Steinbeck en 1943. L’occupant n’est pas aussi attachant chez Steinbeck, mais la même sorte de pacifisme émane des deux ouvrages.
Un message de dignité et de fidélité à des principes humanistes qui, malgré le caractère sombre de ce récit, mettent du baume au cœur et font croire quelques instants de plus que si, finalement, la raison et la paix sont encore des valeurs qui ont un sens.

99raton-liseur
Jun. 25, 2013, 3:42 pm

79. Black Jack - Léon Garfield
Plutôt irréaliste ce livre, où il est question d’un méchant qui échappe à la pendaison et d’une fillette qui n’est finalement pas aussi folle qu’on le croit. Tant pis, la plume de Léon Garfield reste agréable à lire, même si j’avais préféré son livre plus connu, Smith. Les gentils gagnent toujours, et ils trouvent même l’amour. C’est important quand on est un jeune lecteur, et cela met du baume au cœur quand on n’est plus tout à fait jeune !

100raton-liseur
Jun. 25, 2013, 3:44 pm

80. Madame Chrysanthème - Pierre Loti
Livre lu en marge du défi de lecture « Récits de voyages ». Voir note de lecture ici.

101raton-liseur
Jun. 25, 2013, 3:46 pm

81. L’Auberge de l’Ange-Gardien - Comtesse de Ségur
« Courage, mon ami, [dit le général Dourakine à Dérigny]. Je suis là, moi ; j’arrangerai votre vie comme j’ai arrangé celle de Moutier ; vous aurez vos enfants et encore du bonheur devant vous. » (p. 171, Chapitre 22, “La Noce”).
Plutôt déçue par cet opus, qui met du temps à démarrer, et qui au final a une intrigue bien maigre. Je n'ai rien contre le côté prévisible des livres de la Comtesse de Ségur, mais celui/ci me parait forcer un peu trop le trait. Si l’on enlève les références religieuses trop pesantes et les largesses à répétition du fantasque mais bien brave général Dourakine, on se retrouve probablement avec une intrigue qui tient en dix pages.
Je ne sais si c’est moi qui commence à perdre mon âme d’enfant ou si ce livre fait partie des quelques opus de la sage comtesse qui ne me plaisent pas, mais je commence à penser que les livres de la Comtesse de Ségur ont moins bien vieilli que je ne pensais. Aujourd’hui, je crois que je ne recommanderais pas ces livres aux petits lecteurs de ma connaissance. Trop cucul la praline et trop grenouille de bénitier pour moi. Un mélange indigeste.

102raton-liseur
Jul. 12, 2013, 12:03 pm

82. Le portrait de Monsieur W.H. et autres nouvelles - Oscar Wilde
Livre lu en marge du défi de lecture « Je lis des nouvelles et des novellas ». Voir note de lecture ici.

103raton-liseur
Jul. 12, 2013, 12:08 pm

83. Un cœur simple (extraits) - Gustave Flaubert, lu par Marie-Christine Barrault
Livre lu en marge du défi de lecture « Je lis des nouvelles et des novellas ». Voir note de lecture ici.

104raton-liseur
Jul. 12, 2013, 12:14 pm

84. Tous les feux, le feu - Julio Cortázar, lu par André Dussolier
Livre lu dans le cadre du défi de lecture « Je lis des nouvelles et des novellas ». Voir note de lecture ici.

105raton-liseur
Jul. 12, 2013, 12:20 pm

85. Directives pour John Howell - Julio Cortázar, lu par Loleh Bellon
Livre lu dans le cadre du défi de lecture « Je lis des nouvelles et des novellas ». Voir note de lecture ici.

106raton-liseur
Bearbeitet: Jul. 12, 2013, 12:23 pm

86. L’Aleph, suivi de L’Immortalité - Jorge Luis Borges, lu par Michel Bouquet
Livre lu dans le cadre du défi de lecture « Je lis des nouvelles et des novellas ». Voir note de lecture ici.

107raton-liseur
Jul. 12, 2013, 12:26 pm

87. Du sang !, suivi de Cauchemar en jaune - Fredric Brown
Livre lu en marge du défi de lecture « Je lis des nouvelles et des novellas ». Voir note de lecture ici.

108raton-liseur
Bearbeitet: Jul. 12, 2013, 12:37 pm

88. Por el color del trigo (À cause de la couleur du blé*) - Toño Malpica (Texte) & Iban Barrenetxea (Illustrations)
Un aviateur à la grande écharpe humant l’air avec bonheur, il ne pouvait s’agir que de Saint-Exupéry sur la couverture de ce livre, bien que je n’aie pas immédiatement compris l’allusion au blé. Etrange petit opuscule que celui-ci, qui utilise au plus près possible la structure du Petit Prince pour raconter les principales étapes de la vie de Saint-Exupéry et en particulier son amitié avec Léon Werth.
L’histoire a un peu de mal à débuter. Là où les piques contre les adultes sont amusantes chez Saint-Exupéry, elles m’ont paru ici alourdir le texte. Et les apparitions inopinées du Bribonzuelo, le Lutin taquin, rendent le texte un peu décousu. Ce n’est que quand Saint-Exupéry et Werth se rencontrent et se lient d’amitié que l’histoire commence vraiment. On suit Saint-Exupéry qui découvre pas à pas les leçons qu’il regroupera plus tard dans Le Petit Prince, ces phrases qui sont devenues partie de notre patrimoine commun et que le Bribonzuelo décoche au fil de ses apparitions à un Saint-Exupéry qui apprend à ne plus être une personne adulte.
Et la guerre arrive, pendant laquelle Werth devra fuir alors que Saint-Exupéry volera dans le camp des Alliés. Et c’est là que Saint-Exupéry comprend le sens profond de son amitié, c’est là qu’il comprend que l’amitié peut survivre à la mort. Est-il vrai que Werth a reçu un exemplaire du Petit Prince (qui n’est autre que la transfiguration du Bribonzuelo qui a accompagné Saint-Exupéry à tous les moments critiques de sa vie) quelque part au fond des montagnes où il se cache seulement quelques jours après la mort apaisée de son ami ? Je ne le sais pas, mais l’image est belle, et, bien que cela m’arrive peu, j’ai pleuré en lisant les dernières pages de ce livre.
dernières pages de ce livre.

* A ma connaissance ce livre n’a pas été traduit en français. Pour rester dans l’esprit de l’auteur, j’ai repris, pour la traduction du titre, la réponse que le renard fait au Petit Prince lorsque celui-ci est sur le point de retourner sur sa planète.

109raton-liseur
Bearbeitet: Jul. 12, 2013, 12:39 pm

89. Los fantásticos libros voladores del Sr. Morris Lessmore (Les Fantastiques livres volants de Morris Lessmore) - William Joyce
La jolie histoire d’un homme qui, sur le chemin de sa vie, rencontre les livres et ne les quittera plus. De la taille d’un album pour enfant, c’est en réalité un album qui me semble plutôt destiné aux adultes, avec ses dessins joliment « rétro » et son bonheur simple.
Ce livre est adapté d’un dessin animé, mais la mise en abyme du lecteur lisant un livre sur la lecture est en joli clin d’œil qui ne peut que charmer les amateurs de livre qui ont gardé un petit bout de leur âme d’enfant.
Cela ferait une jolie idée cadeau pour un ami lecteur, je crois. D’ailleurs, je me le suis offert à moi-même en utilisant enfin les points que j’ai accumulés sur la carte de fidélité de la librairie près de chez moi. Je ne suis pas un Morris Lessmore en puissance, mais j’aime comme lui être entourée de mes livres, qui ont leur vie propre, ainsi que celle que je leur donne lorsque je les lis ou je les prête.

110raton-liseur
Bearbeitet: Jul. 12, 2013, 12:49 pm

Avec plus de six mois de retard, j’ai enfin fini de mettre sur cette liste mes lectures de l’année 2012. Les deux derniers livres ne reflètent pas l’ordre de lecture puisque j’ai lu Por el color del trigo vers le mois de mai-juin de l’année dernière et Les fantastiques livres volants de Morris Lessmore vers le mois de novembre, mais ma note de lecture a tardé à s’ecrire…
Un peu tard pour faire un bilan des lectures de l’année, donc je ne m’éternise pas et je mets juste, par une sorte d’acquis de conscience le lien vers les deux listes de lecture qui m’accompagnent en 2013 : mes lectures « normales » (papier ou liseuse) (Lectures de 2013) et mes lectures audio (Lectures audio de 2013) qui deviennent une part importante de mes lectures depuis cette année.

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