Raton-Liseur - Lecture au long cours : Les Thibault, de Roger Martin du Gard

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Raton-Liseur - Lecture au long cours : Les Thibault, de Roger Martin du Gard

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1raton-liseur
Jan. 29, 2015, 11:14 am

J’aime les gros livres, j’aime les histoires de famille, j’aime le XIXème siècle, et pourtant je n’ai jamais osé m’attaquer à la lecture des Thibault, de Roger Martin du Gard. Impressionnée par les trois tomes de l’édition folio, craignant une écriture poussiéreuse ou bien trop cérébrale, intimidée par le Prix Nobel que ce monsieur a reçu en 1937 ? Aucune de ces raisons n’est valable au vu de mes habitudes de lecture, mais le fait est là, je n’ai jamais osé entreprendre la lecture de cette somme.
Et puis, le « défi de lecture sur les Nobel » que j’ai entrepris en 2013 aidant, avec un coup de pouce des commémorations de la Première Guerre Mondiale qui me donnent un peu l’envie de me replonger dans la littérature de cette période, je me suis dit qu’il était temps de mettre mes réticences de côté.
C’est une émission de France Culture, Concordance des Temps, consacrée à l’actualité de Roger Martin du Gard qui m’a finalement décidée en décembre, et je me suis dit que ce serait une de mes lectures phare de l’année 2015. Alors me voilà, prête pour cette aventure au long cours, un petit millier de pages que je lirai soit d’une traite soit par petits bouts, et dont je viendrai rendre compte ici au fil des lignes.

2raton-liseur
Bearbeitet: Nov. 2, 2015, 1:41 pm

Tous les tomes des Thibault sont aujourd’hui disponibles en livres électroniques libres de droit. Certes, ils ne sont pas légalement téléchargeables depuis la France où ils ne tomberont dans le domaine public qu’en 2028, 70 ans après la mort de Roger Martin du Gard, mais ils sont déjà dans le domaine public dans les pays d’Amérique du Nord, alors j’en profite.
Je lis l’« édition » d’Ebooks Libres et Gratuits, qui suit le découpage du livre selon les huit volumes voulus par l’auteur, à l’exception du volume 7, L’Eté 1914 qui est coupé en deux parties. Cela me fera donc un total de neuf volumes qui feront chacun l’objet d’une note de lecture dans ce fil de discussion.




Tome 1 : Le Cahier gris, paru en 1920 (note de lecture)
Tome 2 : Le Pénitencier, paru en 1922 (note de lecture)
Tome 3 : La Belle Saison, paru en 1923 (note de lecture)
Tome 4 : La Consultation, paru en 1928 (note de lecture)
Tome 5 : La Sorellina, paru en 1928 (note de lecture)
Tome 6 : La Mort du père, paru en 1929 (note de lecture)
Tome 7 : L’Eté 1914 (Première partie), paru en 1935 (note de lecture à venir)
Tome 7 bis : L’Eté 1914 (Seconde partie), paru en 1936 (en cours de lecture)
Tome 8 : Epilogue, paru en 1940 (à lire)

3raton-liseur
Bearbeitet: Feb. 15, 2015, 10:58 pm

Les Thibault : Présentation générale
Roger Martin du Gard a entrepris l’écriture des Thibault au sortir de la guerre. Le premier tome a en effet été publié dès 1920, et ce travail de longue haleine ne s’achèvera qu’avec la publication d’un épilogue en 1940. C’est en 1937, après la publication de L’Eté 1914 qu’il reçoit le Prix Nobel de Littérature.

A grands traits, Les Thibault est l’histoire d’une famille de grands bourgeois catholiques au tournant du siècle et dans les années précédant le déclenchement de la Première Guerre Mondiale. Roger Martin du Gard a été mobilisé dès 1914 et, en tant que fourrier, il a parcouru le front en tous sens et en a vu toutes les horreurs. Comme de nombreux auteurs qui sont revenus de la guerre (Jean Giono très certainement, Maurice Genevoix aussi peut-être), il devient pacifiste et refuse d’écrire sur la guerre. C’est ainsi que naît l’idée des Thibault, qui se place résolument avant les horreurs de la Première Guerre Mondiale et s’achève dans les semaines précédant le début du conflit. A noter que l’Epilogue paraît après le début de la Seconde Guerre Mondiale, et je suis curieuse de voir comment cela a pu modifier le projet littéraire de départ et influencer la position de l’écrivain.

Le projet, qui s’intitulait au départ « Les Deux Frères » est centré sur les deux enfants d’Oscar Thibault, grand bourgeois parisien fervent catholique et responsable de nombreuses œuvres de bienfaisance. Antoine et Jacques sont les deux facettes d’une opposition à l’ordre établi. Antoine, l’aîné, est médecin, homme d’action positiviste, qui au contact des sciences délaisse la religion. Jacques, de 9 ans plus jeune qu’Antoine, est exalté, idéaliste. Ecrivant des poèmes dès son plus jeune âge, il refuse toute contrainte, tant physique que morale et ne veut que se faire lui-même.
Les soubresauts seront nombreux au fil de ces huit tomes, tant les affrontements entre trois volontés très affirmées et pas toujours compatibles. Et le monde et son évolution ne manqueront pas de les rattraper. J’imagine des combats intérieurs et des frictions avec les idées du siècle naissant. De belles problématiques en vue, et il est donc tant que je laisse les pages parler pour elle-même.

4raton-liseur
Bearbeitet: Feb. 16, 2015, 12:41 pm

Tome 1 : Le Cahier gris
Ah ! pourvu que mon cœur ne se dessèche pas ! J’ai peur que la vie m’endurcisse le cœur et les sens. Je vieillis. Déjà les grandes idées de Dieu, l’Esprit, l’Amour, ne battent plus dans ma poitrine comme jadis, et le Doute rongeur me dévore quelquefois. Hélas ! pourquoi ne pas vivre de toute la force de notre âme, au lieu de raisonner ? Nous pensons trop ! J’envie la vigueur de la jeunesse, qui s’élance au péril sans rien voir, sans tant réfléchir ! Je voudrais pouvoir, les yeux fermés, me sacrifier à une Idée sublime, à une Femme idéale et sans souillure, au lieu d’être toujours replié sur moi ! Ah, c’est affreux, ces aspirations sans issue !…
Lettre de Jacques à son meilleur ami, il n’a que 14 ans.
(p. 44-45, Chapitre 6).
Si j’avais peur d’une écriture poussive, me voilà happée dès les premières pages. Pas de description, pas de mise en place des personnages ou du cadre, on est tout de suite dans l’action. Jacques, jeune adolescent frondeur a fugué avec son ami Daniel Fontanin.
J’ai été surprise par ce premier tome, très court (96 pages dans mon édition numérique), qui est en réalité en lui-même la mise en place des personnages, mais d’une manière très active. On découvre les grands traits de caractère de chacun. A tout seigneur tout honneur, je commence par le père, dont on n’apprend le nom que par la lecture de l’entrée qui lui est consacrée dans le bottin du Tout-Paris, Oscar Thibault, grand bourgeois parisien riche à millions, catholique fervent ayant son propre directeur spirituel, à la tête de nombreuses œuvres de bienfaisance visant à remettre dans le droit chemin les brebis égarées (et selon lui, s’égarer pourrait se résumer à ne pas penser comme lui).
Cet homme, veuf, a deux fils. Antoine, qui fait sa médecine et semble marcher dans les traces de son père, et qui restera finalement assez en retrait pendant tout ce premier tome. Et Jacques, qui, du haut de ses quatorze ans est le personnage central de ce tome et s’annonce comme le pivot de tout le roman. C’est une forte tête que ce Jacques qui, malgré son jeune âge n’hésite pas à s’opposer à son père, à remettre en cause l’enseignement qui lui est dispensé. Il veut choisir ses livres, il veut penser par lui-même et, accusé à tort avec son ami Fromantin (d’une homosexualité qui ne se dit jamais mais se devine sans peine), il n’hésite pas à organiser leur fugue. Rupture avec la famille, rupture avec les idées dominantes, l’histoire commence sur les chapeaux de roues et promet d’orageux affrontements entre le père et le fils cadet.

Ce premier tome m’a laissée, je dois le dire, sur ma faim. A peine le temps de connaître les personnages, de les voir se rencontrer, s’aimer, s’entrechoquer, que la dernière page se referme, les laissant en suspens, et m’obligeant à embrayer immédiatement sur la lecture du second tome.
Si j’ai été légèrement déçue, m’attendant peut-être à un peu plus de profondeur ou de réflexion, ce premier tome, qui ne se suffit vraiment pas à lui-même a fonctionné pour moi comme un hameçon. Je suis ferrée, et je sais déjà que je lirai ce roman fleuve jusqu’au bout, peut-être pas d’une traite, mais je ne tarderai pas non plus. Où Thibault envoie-il Jacques à la fin de ce premier tome, afin de dompter sa trop grande liberté d’esprit, il m’a fallu ouvrir le deuxième tome dès celui-ci refermé pour le savoir.

5Dilara86
Jan. 30, 2015, 11:12 am

Merci pour ces notes : elles donnent envie de tenter l'aventure ! Et puis ça m'a permis de découvrir un nouveau site de livres gratuits :-)

6raton-liseur
Bearbeitet: Feb. 8, 2015, 11:31 am

Tome 2 : Le Pénitencier
Il sourit au son de sa propre voix et cligna de l’œil vers la glace : « Eh bien, oui, je le sais bien, l’orgueil », songea-t-il avec un rire cynique. « L’abbé Vécard dit : “L’orgueil des Thibault.” Mon père, lui… Soit. Mais moi, eh bien oui, l’orgueil. Pourquoi non ? L’orgueil, c’est mon levier, le levier de toutes mes forces. Je m’en sers. J’ai bien le droit. Est-ce qu’il ne s’agit pas avant tout d’utiliser ses forces ? »
Réflexions d’Antoine sur lui-même.
(p. 79, Chapitre 7).

« Comment ai-je perdu la foi ? Je n’en sais plus rien. Lorsque je m’en suis avisé – il n’y a pas plus de quatre ou cinq ans – j’avais déjà par ailleurs atteint un degré de culture scientifique qui laissait peu de place à des croyances religieuses. Je suis un positif », fit-il, avec un sentiment de fierté (…). « Je ne dis pas que la science explique tout, mais elle constate ; et, moi, ça me suffit. Les comment m’intéressent assez pour que je renonce sans regret à la vaine recherche des pourquoi. D’ailleurs », ajouta-t-il rapidement et en baissant la voix, « entre ces deux ordres d’explications, il n’y a peut-être qu’une différence de degré ? » Il sourit comme pour s’excuser : « Quant à la morale », reprit-il, « eh bien, elle ne me préoccupe guère. Je vous scandalise ? Voyez-vous, j’aime mon travail, j’aime la vie, je suis énergique, actif, et je crois avoir éprouvé que cette activité est par elle-même une règle de conduite. En tout cas, jusqu’à présent, je ne me suis jamais trouvé hésitant sur ce que j’avais à accomplir. »
Réflexions d’Antoine sur lui-même.
(p. 122-123, Chapitre 11).
Tout est dans le titre. Thibault a décidé d’appliquer à son fils les méthodes expéditives qu’il préconise depuis toujours dans le cadre de ses actions de bienfaisance pour remettre les enfants dans le droit chemin. Il fait enfermer son cadet Jacques, forte tête qu’il ne peut mâter, dans le pavillon pour enfants riches du pénitencier de Crouy qu’il a lui-même fondé et qu’il administre.
Il faudra que neuf mois passent pour qu’Antoine, son autre fils, s’avise que la punition a peut-être assez duré et qu’il serait temps qu’il intervienne.
Le Pénitencier, ce sont les dernières semaines de réclusion de Jacques, le premier acte d’émancipation d’Antoine face à son père et l’organisation de la vie indépendante des deux garçons. C’est aussi une charge contre le père, engoncé dans ses valeurs, sûr de son bon droit en patriarche absolutiste, mais aussi pharisien démasqué par son directeur spirituel, le très diplomate et très fin abbé Vécard. Se met donc en place dans ce deuxième tome un des thèmes chers à Martin du Gard, celui de la place de la foi dans une société qui évolue, et dans laquelle s’annonce la séparation de l’Eglise et de l’Etat, thème déjà présent dans Jean Barois, un de ses premiers grands romans, publié en 1913.

Ce second tome commence donc à être plus profond, plus intéressant mais, toujours très court (il ne fait que 140 pages dans mon édition électronique), il ne fait qu’attiser la curiosité du lecteur, la mienne en tout cas. Et, acquise à la cause qu’il défend, je n’ai pas trouvé beaucoup de matière à réflexion dans ce tome. Mais j’ai pu, dans cette partie un peu plus longue, me laisser emporter par le style extrêmement classique de Roger Martin du Gard, avec sa grande fluidité et sa simplicité apparente, qui donne à ce style un aspect très daté mais qui le rend très agréable à lire.

Toujours sur ma faim, bien que cette fois il n’y ait pas de suspens, je me lance de ce pas dans le troisième tome.

7raton-liseur
Bearbeitet: Jan. 30, 2015, 11:27 am

#5 - Bonjour, et merci pour votre passage et votre message. Ces petits mots d'encouragement font toujours plaisir !
Je suis au début du 3ème tome, et j'apprécie beaucoup cette lecture, que je continuerai à venir commenter ici de temps à autres.

Pour ce qui est des livres électroniques du domaine public, il y a vraiment de très bons sites. Puisque vous me donnez l'occasion de faire un peu de publicité, j'en profite car je trouve leur travail fantastique et une très belle réaction aux pratiques commerciales habituelles dans ce domaine.
Ebooks Libres et Gratuits (ELG) est peut-être le plus ancien de ces sites (pour être plus juste, c'est le premier que j'ai découvert...) et ils font partie de tout un mouvement de sites fonctionnant sur le même principe et qui ont mis leurs catalogues en commun (appelé tout simplement Nos livres).
Je fréquente principalement la Bibliothèque électronique du Québec (BEQ), la Bibliothèque numérique romande (BNR) et ÉFÉLÉ car ce sont les sites qui correspondent le plus à mes goûts littéraires du moment, mais je suis certaine que les autres doivent aussi contenir de petites pétites !
Il y a donc de quoi faire et je vous souhaite de bons vagabondages livresques !

8Cecilturtle
Jan. 31, 2015, 9:51 pm

Bravo! C'est vrai que les sagas font peur mais elles récompensent tellement! Pour moi, ça avait été The Forsythe Saga de Galsworthy. Je m'étais dit que je ne lirai que le premier tome et finalement j'ai lu les cinq, dévorés les uns après les autres.

9raton-liseur
Feb. 3, 2015, 9:46 pm

#8 - Merci Cecilturtle ! Oui, les sagas sont souvent très intéressantes, et quand l'une d'elle réussit à me happer, j'aime que cette lecture m'accompagne pendant plusieurs semaines, voire mois ! J'avais lu Kristin Lavransdatter de Sigrid Undset l'année dernière, et je le conseille vraiment.
Pour les Forsythe, j'en ai entendu parler effectivement, et je suis tentée, mais je crois que les traductions en français sont difficiles à trouver car épuisées. Mais je ne dis pas non, merci de l'idée !

10raton-liseur
Bearbeitet: Feb. 16, 2015, 12:31 pm

Tome 3 : La Belle Saison
D’ailleurs, à quoi correspondait cette idée de pardon ? Jacques lui-même ne le savait pas au juste, bien qu’il se heurtât sans cesse à cette alternative : pardonner, ou bien, au contraire, exalter son ressentiment ; accepter, s’agréger, être un rouage parmi d’autres rouages ; ou bien, au contraire, stimuler les forces de destruction qui s’agitaient en lui, se jeter, de toute sa rancune, contre… – il n’aurait su dire quoi – contre l’existence toute faite, la morale, la famille, la société ! Rancune ancienne, qui datait de son enfance ; sentiment confus d’avoir été un être méconnu, auquel étaient dus certains égards, et auquel, sans répit, tout le genre humain avait manqué. Oui, à coup sûr, s’il avait jamais pu s’évader, il l’aurait trouvé enfin, cet équilibre intérieur qu’il accusait les autres de lui rendre impossible !
(p. 6-7, Chapitre 1).
Avec La Belle Saison, on rentre dans le vif du sujet. On fait un bond dans le temps de quelques cinq années, et le lecteur accompagne les deux frères au cours d’un été. La Belle Saison est autant cet été particulièrement chaud que l’âge jeune où tout semble possible.
Jacques vient de réussir le concours d’entrée à Normale, mais il est toujours dans la période ingrate de l’adolescent qui se croit au-dessus de la mêlée, qui pense être le premier à avoir les idées qu’il a, qui se sent incompris mais qui pense pouvoir révolutionner le monde. Premiers émois, grandes aspirations, mais un jeune homme que je trouve horripilant et qui a fini par m’être antipathique.
Antoine, quant à lui, commence à asseoir sa carrière et, plus mûr, apprend à jouir de la vie présente et des perspectives qui s’ouvre à lui. Il tombe sous le charme de Rachel, jeune femme belle et libre, au passé mouvementé.
La chaleur exaspère les sens : chez Jacques, ce sont les hautes idées et les premiers émois ; chez Antoine, ce sont la reconnaissance sociale et les sens. Les deux visions du monde que Martin du Gard développe dans sa saga familiale sont ici clairement en place, mais à aucun moment elles ne s’affrontent, se développant en parallèle, se rencontrant à peine autour d’un repas familial de temps à autres, mais toujours par inadvertance, se frôlant sans même s’apercevoir. Mais la belle saison prend fin, et avec elle les mirages et les illusions. La chute est rude pour tous, et à la fin de ce tome, l’avenir apparaît incertain.

Ce troisième tome donne l’impression de rentrer dans le vif du sujet, après deux premiers tomes qui fonctionnent presque comme une introduction un peu longue. Les personnages ne me paraissent toujours pas très sympathiques, ni les gentils comme Mme de Fontanin qui continue à se faire mener par le bout du nez par son volage de mari, ni surtout l’adolescent qui tape sur les nerfs qu’est Jacques. Les personnages me semblent même un peu caricaturaux et excessifs, et c’est finalement et contre toute attente Antoine qui me plaît le plus, parce que lui au moins semble véritablement vivant.
Depuis que j’ai entamé cette saga, j’ai la lecture du Tour du Malheur de Joseph Kessel qui me revient en tête, une lecture qui m’avait emportée. Si ce livre se passe dans les années folles de l’entre-deux guerres, il met aussi en scène deux frères, Richard et Daniel, qui s’opposent dans leur conception de la vie mais qui restent liés quels que soient les aléas de la vie et leurs choix respectifs. Je n’ai pas encore trouvé le même souffle dans Les Thibault, et j’attends avec impatience que les personnages déploient enfin toute leur envergure et qu’ils prennent leur essor.
Je reste donc curieuse de ce qu’il va se passer dans les prochains tomes, voir si la vie égratignera ces deux frères protégés de tout, voir comment Jacques affrontera les désillusions de la réalité, voir si la considération sociale sera suffisante pour combler Antoine, voir si la vieillesse apportera un peu d’humilité au père… La vie fera-t-elle grandir ces hommes, ou au moins les fera-t-elle évoluer ?

11raton-liseur
Feb. 15, 2015, 10:55 pm

Après les trois premiers tomes lus d’une traite, je fais une pause dans ma lecture, le temps de laisser mûrir les personnages. Cette pause correspond à une envie de vagabonder quelques temps vers d’autres horizons, mais elle tombe bien, puisqu’il s’est écoulé cinq ans entre la parution du troisième tome et celle du suivant, alors que les trois premiers avaient été publiés presqu’au rythme d’un par an. Je ne mettrai pas cinq ans avant de lire le prochain tome, La Consultation, c’est certain, mais je ne serai probablement pas de retour avant quelques semaines ou quelques mois. En attendant, bon vagabondage livresque à tous !

12raton-liseur
Mai 17, 2015, 7:47 pm

Tome 4 : La Consultation
Ce fut comme une vague qui le submergea. Un sinistre cortège défila devant lui : tous ceux de ses malades qu’il jugeait condamnés… Rien qu’à compter ceux qu’il avait vus depuis le matin, la liste était déjà longue : quatre ou cinq malades de l’hôpital, Huguette, le petit Ernst, le bébé aveugle, celui-ci… Et certainement, il en oubliait !… Il revit son père, cloué dans son fauteuil, et sa lèvre épaisse, mouillée de lait… Dans quelques semaines, après des jours et des nuits de douleur, le robuste vieillard, à son tour… Tous, les uns après les autres !… Et aucune raison à cette misère universelle… « Non, la vie est absurde, la vie est mauvaise ! » se dit-il avec rage, comme s’il s’adressait à un interlocuteur obstinément optimiste : et cet entêté, bêtement satisfait, c’était lui, c’était l’Antoine de tous les jours.
(p. 80-81, Chapitre 12).
Nous voici trois ans plus tard, trois ans après cet été qui avait vu le jeune Jacques torturé par ses rêves de grandeur et d’indépendance. Nous voici dans les premiers froids d’une année 1913 finissante, et c’est Antoine, l’aîné de Jacques, qui est le centre, si non la figure unique, de ce tome. L’action du livre est ramassée dans une seule après-midi, au cours de laquelle on suit le médecin Antoine dans ses visites à domicile et ses consultations. Une façon de nous faire voir différents aspects de la société française, surtout les classes aisées certes, mais aussi les grandes questions qui la traversent, avec les restes de l’affaire Dreyfus et, surtout, les aléas de la vie familiale. Difficile journée, mais ce tome encore très court ne fait qu’effleurer les questions, que survoler cette société parisienne chic, et encore une fois, la grande fresque d’une époque que je m’étais imaginée me laisse sur ma faim.
Et puis quel tome étrange que celui-là, duquel Jacques est absent, pour une raison qui demeure obscure. Les allusions à ce bouillonnant cadet sont peu nombreuses et il faut attendre à peu près la moitié du livre pour comprendre qu’il a tout simplement disparu et que ses proches sont sans nouvelles de lui.
Un opus intéressant donc, qui se lit facilement comme tous les autres, mais qui m’a surprise par sa forme et sa totale absence d’intrigue et qui me laisse avec mon envie d’un savoir plus. Pourtant, la lecture semble être addictive car aussi ce tome referme, je n’ai pu m’empêcher d’ouvrir immédiatement le suivant.

13raton-liseur
Bearbeitet: Mai 17, 2015, 7:59 pm

Une citation qui résume la philosophie d’Antoine Thibault
« Je vis », se dit-il enfin ; « voilà un fait. Autrement dit, je ne cesse pas de faire choix et d’agir. Bon. Mais ici commencent les ténèbres. Au nom de quoi, ce choix, cette action ? Je n’en sais rien. Serait-ce au nom de cette clairvoyance à laquelle je pensais tout à l’heure ? Eh bien, non… Théorie !… Au fond, jamais ce souci de lucidité n’a réellement motivé, de ma part, une décision, un acte. C’est seulement lorsque j’ai agi que cette clairvoyance entre en jeu pour justifier à mes yeux ce que j’ai fait… Et pourtant, depuis que je suis un être qui pense, je me sens mû par – mettons : par un instinct – par une force qui me fait, presque sans interruption, choisir ceci et non cela, agir d’une façon et non d’une autre. Or – et voilà le plus déconcertant – je remarque que je n’agis pas en des sens contradictoires. Tout se passe donc exactement comme si j’étais soumis à une règle inflexible… Oui, mais quelle règle ? Je l’ignore ! Chaque fois que, dans un moment sérieux de ma vie, cet élan interne m’a fait choisir une direction déterminée et agir dans ce sens, j’ai eu beau me demander : au nom de quoi ? je me suis toujours heurté à un mur noir. Je me sens bien d’aplomb, bien existant, je me sens légitime, – et pourtant en marge de toutes les lois. Je ne trouve ni dans les doctrines du passé, ni dans les philosophies contemporaines, ni en moi, aucune réponse qui soit satisfaisante pour moi ; je vois nettement toutes les règles auxquelles je ne peux pas souscrire, mais je n’en vois aucune à laquelle je pourrais me soumettre ; de toutes les disciplines codifiées, aucune, jamais, ne m’a paru, même de loin, s’adapter à moi, ni pouvoir expliquer ma conduite. Et, malgré tout, je vais de l’avant ; je file même à bonne allure, sans hésitation, à peu près droit ! Est-ce étrange ! Je me fais l’effet d’un navire rapide qui suivrait hardiment sa route et dont le pilote n’aurait jamais eu de boussole… On dirait positivement que je dépens d’un ordre ! Et cela, je crois même le sentir : ma nature est ordonnée. Mais, cet ordre, quel est-il ?… Au demeurant, je ne me plains pas. Je suis heureux. Je ne souhaite nullement devenir autre ; j’aimerais simplement comprendre en vertu de quoi je suis tel. Et il entre un brin d’inquiétude dans cette curiosité. Chaque être porte-il ainsi son énigme ? Trouverai-je jamais la clé de la mienne ? Parviendrai-je à formuler ma loi ? Saurai-je un jour au nom de quoi ?… »
(p. 88-89, Chapitre 13, Tome 4, “La Consultation”).

14CorinneT
Jun. 4, 2015, 10:37 am

Merci pour ce partage, j'avais identifié cette saga, vos retours me confirment qu'elle est bien ..

15raton-liseur
Nov. 2, 2015, 12:53 pm

#14 - C'est avec beaucoup de retard que je réponds. Ravie si ces notes de lecture vous donnent envie de sauter le pas. Je suis actuellement en train de finir le tome 7, et je vois la fin arriver avec une certains tristesse je crois...

16raton-liseur
Nov. 2, 2015, 12:54 pm

Tome 5 : La Sorellina
Lorsque Antoine, surpris de cette brusque retraite, voulut le rejoindre, il l’aperçut, dans la pénombre, immobile : les paupières obstinément closes sur ses larmes, Jacques faisait semblant de dormir.
(p. 121, Chapitre 12).
Quelques mois se sont écoulés depuis le dernier tome, mais la santé du patriarche, Oscar Thibault se dégrade et Antoine sent bien qu’il doit redoubler d’efforts pour retrouver son frère. Une piste inattendue s’offre à lui et relance les possibilités. Une nouvelle parue dans une revue littéraire et signée d’un pseudonyme transparent.
Une nouvelle qui renvoie le lecteur au troisième tome de cette fresque, en cet été 1910 pendant lequel Jacques n’a su que se tourmenter, encore et encore. Pris entre des rêves d’absolu et les tourments des hormones adolescentes. Cet été à la fin duquel il a mystérieusement disparu avant que d’entrer à Normal Sup dont il avait pourtant réussi brillamment le concours.
Une nouvelle qui a jeté un certain trouble dans mon esprit de lectrice, me demandant ce que Jacques avait bien pu faire effectivement au cours de cet été, s’il était allé plus loin que ce que l’auteur avait osé nous en dire, et s’il était encore plus éloigné de ses idées de pureté que ce que la lecture avait laissé entrevoir.

En suivant Antoine le long de cette nouvelle piste, on retrouve donc Jacques, qui se résigne face à l’arrivée de son frère et à l’irruption de son passé dans la vie qu’il s’est maintenant construite en Suisse. Un Jacques qui a coupé tous les ponts mais qui accepte facilement de se voir à nouveau agrippé par le harpon familial, un Jacques qui vit selon ses idéaux, proche des milieux socialistes les plus militants, mais qui ne semble pas plus heureux pour autant.
C’est donc à nouveau un Jacques assez antipathique, pas sûr de lui, revêche et incapable de sourire que le lecteur retrouve. Un Jacques qui ne se soucie pas de la souffrance qu’il a pu inspirer à son entourage, un Jacques toujours difficile à décrypter et avec qui les liens seront bien difficiles à retisser, comme s’en aperçoit vite Antoine qui, à la fin de ce tome, ramène son frère à Paris sans se faire beaucoup d’illusions sur son retour définitif.

17raton-liseur
Nov. 2, 2015, 12:57 pm

Une citation pour résumer les tourments de Jacques Thibault
« Vois-tu, Antoine, ce qui est effrayant, c’est de ne pas savoir ce qui est… normal… Non, pas normal, c’est idiot… Comment dire ?… Ne pas savoir si les sentiments qu’on a… ou plutôt les instincts… Mais toi, médecin, tu le sais, toi… » Les sourcils froncés, le regard perdu dans la nuit, il parlait d’une voix sourde et butait à chaque mot. « Ecoute », reprit-il. « On éprouve quelquefois des choses… On a des espèces d’élans vers ceci… ou cela… Des élans qui jaillissent du plus profond… N’est-ce pas ?… Et on ne sait pas si les autres éprouvent la même chose, ou bien si on est… un monstre !… Comprends-tu ce que je veux dire, Antoine ? Toi, tu as vu tant d’individus, tant de cas, tu sais sans doute, toi, ce qui est… mettons… général, et ce qui est… exceptionnel. Mais, pour nous autres qui ne savons pas, c’est terriblement angoissant, vois-tu… Ainsi, tiens, un exemple : quand on a treize, quatorze ans, ces désirs inconnus qui montent comme des bouffées, ces pensées troubles qui vous envahissent sans qu’on puisse s’en défendre, et dont on a honte, et qu’on dissimule douloureusement comme des tares… Et puis, un jour, on découvre que rien n’est plus naturel, que rien n’est plus beau, même… Et que tous, tous, comme nous, pareillement… Comprends-tu ?… Eh bien, voilà, il y a, de même, des choses obscures… des instincts… qui se dressent… et pour lesquels, même à mon âge, Antoine, même à mon âge… on se demande… on ne sait pas… »
(p. 120-121, Chapitre 12, Tome 5, “La Sorellina”).

18raton-liseur
Bearbeitet: Nov. 2, 2015, 1:37 pm

Tome 6 : La Mort du père
Il sentait bien se distendre les derniers liens qui retenaient son âme à ce monde, mais il savourait avec délices cet épuisement, cette fragilité. Il n’était plus qu’un souffle qui vacille avant de s’évanouir. La vie continuait sans lui, comme continue à couler la rivière pour le baigneur qui a gagné la berge. Et il se trouvait non seulement hors de la vie, mais déjà presque hors de la mort : il s’élevait, il s’élevait dans un ciel baigné de lumière surnaturelle comme certains firmaments d’été.
(p. 19-20, Chapitre 2).

– « Et comment donc en serait-il autrement ? Il faut songer à ce qu’est la condition de l’homme. La religion est la seule compensation à tout ce qu’il sent de vil dans ses instincts. C’est sa seule dignité. Et c’est aussi la seule consolation à ses souffrances, l’unique source de résignation. »
– « Ça, c’est vrai », s’écria Antoine, avec ironie : « il y a si peu d’hommes qui attachent plus de prix à la vérité qu’à leur confort ! Et la religion, c’est le comble du confort moral !… Mais, ne vous en déplaise, Monsieur l’abbé, il y a néanmoins quelques esprits chez lesquels le goût de comprendre est plus impérieux que celui de croire. Et ceux-là… ! »

(p. 133, Chapitre 14).
Tout est dans le titre de ce nouvel opus. Resserrée sur quelques jours, l’action est uniquement centrée sur l’agonie d’Oscar Thibault, le père, le patriarche. On est en 1913, cette mort semble annoncer celle de toute une société, toute une façon de vivre qui s’effondrera dans la stupeur générale en 1914.
Mais si l’on peut lire cette agonie comme une métaphore, tout comme cette saga est l’illustration de ce qu’est la grande bourgeoisie française dans ces premières années du nouveau siècle, je l’ai pour ma part lu avant tout au premier degré.
Toujours marquée par la perte de mon grand-père qui remonte à plus d’un an avant cette lecture, la fin de cette vie d’un homme d’âge vénérable a raisonné en moi avec toutes les questions sans réponse que je peux avoir ces derniers temps sur la fin de vie, sur la mort tout simplement (appelons un chat un chat). Cacher la gravité d’une maladie au principal intéressé, prendre conscience que sa fin est là, toute proche, vouloir mettre, vouloir réussir sa sortie pour ne pas entacher la mémoire de sa vie, se justifier jusqu’au dernier moment, tricher ou ne plus tricher avec qui l’on est, être spectateur de cette agonie et vouloir que les choses s’achèvent plutôt que de voir la souffrance inutile continuer.
Beaucoup, beaucoup de questions dans ce tome des Thibault, une immense humanité dans l’écriture de Roger Martin du Gard. Une capacité à décrire les sentiments dans leur succession et leur contradiction. Cette lecture fut douloureuse à certains égards, mais elle m’a aussi permis en quelque sorte de me sentir comprise, cernée, moins seule peut-être dans mon cheminement vers l’acceptation.
Voilà donc un tome qui apparaît un peu comme hors du temps, hors de la saga, comme une photo tombée d’un gros livre. Mais c’est aussi probablement le tome que j’ai préféré jusqu’à présent. Un tome d’une grande universalité. C’est la vie, c’est la mort, c’est tout, et nous sommes tous concernés.

19raton-liseur
Bearbeitet: Nov. 2, 2015, 1:39 pm

Deux citations qui évoquent la lucidité tardive d’Oscar Thibault sur ses propres défauts
Non, ne proteste pas, c’est la vérité. Dieu l’a voulu ainsi ; Dieu ne m’a jamais accordé la confiance de mes enfants… J’ai eu deux fils. Ils m’ont respecté, ils m’ont craint ; mais, dès l’enfance, ils se sont écartés de moi… Orgueil, orgueil ! Le mien ; le leur…
(p. 21, Chapitre 2, Tome 5, “La Sorellina”).

Ces paroles le criblaient de blessures. Non, il ne s’était pas élevé au-dessus des biens terrestres ! Il avait trompé là-dessus tout le monde. Et l’abbé. Et lui-même, presque toujours. En réalité, il avait tout sacrifié à la considération des hommes. Il n’avait eu que des sentiments bas, bas, bas – et qu’il avait cachés ! Égoïsme, vanité ! Soif d’être riche, de commander ! Étalage de bienfaisance, pour être honoré, pour jouer un rôle ! Impureté, faux-semblant, mensonge, – mensonge !… Comme il aurait voulu pouvoir effacer tout, recommencer tout à neuf ! Ah, ce qu’elle lui faisait honte, son existence d’homme de bien ! Il l’apercevait, enfin, telle qu’elle avait été. Trop tard ! Le jour des comptes était venu.
(p. 13, Chapitre 2, Tome 6, “La Mort du père”).

20raton-liseur
Bearbeitet: Nov. 2, 2015, 1:40 pm

Antoine face à la mort de son père
« Enroidissement ! » songeait Antoine. Il découvrait que son père n’était pas seulement raide, mais enroidi, – exprès. Il ne refusait pas, d’ailleurs, de voir quelque sombre beauté dans cette contrainte, même si elle n’aboutissait qu’à l’inhumain. « Sensibilité volontairement mutilée ? » se demandait-il.
(p. 93, Chapitre 10, Tome 6, “La Mort du père”).

Depuis qu’Antoine avait touché ces papiers, soulevé ce petit coin de voile, soupçonné des choses, il s’avisait avec une sorte d’angoisse que, sous ces majestueuses apparences, un homme – un pauvre homme, peut-être – venait de mourir ; que cet homme était son père, et qu’il l’avait entièrement ignoré.
(p. 98, Chapitre 10, Tome 6, “La Mort du père”).

21raton-liseur
Bearbeitet: Nov. 2, 2015, 1:40 pm

Jacques face à la mort de son père
Mais là, subitement, se réveillait en lui une tendresse ancienne, puérile, excessive, illogique à la fois et indiscutable, que rendait cuisante un sentiment de confusion et de remords. Il comprenait maintenant pourquoi il était venu. Il se souvint de ses colères, des pensées de mépris, de haine, des désirs de vengeance, qui avaient lentement empoisonné sa jeunesse. Vingt détails oubliés revenaient aujourd’hui l’atteindre au vif, comme des balles qui ricochent. Pendant quelques minutes, délivré de toute sa rancune, rendu à son instinct filial, il pleura son père. .
(p. 122, Chapitre 13, Tome 6, “La Mort du père”).

Il ne luttait pas ; il s’abandonnait à cette oppression de la mort ; et l’intensité avec laquelle lui apparaissaient en ce moment l’inutilité de la vie, la vanité de tout effort, provoquait même en lui une voluptueuse exaltation. Pourquoi vouloir ? Espérer quoi ? Toute existence est dérisoire. Rien, absolument rien, ne vaut plus la peine – dès que l’on sait la mort ! Il se sentait atteint, cette fois, au plus intime. Plus aucune ambition, aucune envie de dominer, aucun désir de réaliser quoi que ce fût. Et il n’imaginait pas qu’il pût jamais guérir de cette angoisse, ni retrouver une quiétude quelconque ; il n’avait même plus la velléité de croire que, si la vie est brève, l’homme a quelquefois le temps de mettre un peu de lui-même à l’abri de la destruction, qu’il lui est parfois accordé de soulever un peu de son rêve au-dessus du flot qui l’emporte, pour que quelque chose de lui flotte encore après qu’il aura coulé à pic.
(p. 123, Chapitre 13, Tome 6, “La Mort du père”).

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