> Par 3e millénaire (In: Revue 3e millénaire, n°108, Eté 2013 - Spiritualité de l'Art)

SOMMAIRE

Thème : Spiritualité de l'Art

2 — 3e millénaire : Un fil d'Ariane au coeur de l'Art
Une société dépend fondamentalement de ses enfants. La façon dont ceux-ci sont éduqués – ou pas ! – oriente radicalement cette société ou cette civilisation dans une direction irréversible. La crise sociale est donc aussi une crise de l'enseignement ; d'un enseignement qui s'est éloigné des arts, et surtout de leurs “pratiques”. Ce que constate René Barbier : « J'ai toujours été étonné de voir à quel point l'art est la portion congrue dans l'enseignement. Pour moi, c'est quelque chose d'essentiel ». L'art nous pose les plus grandes questions et en particulier celle de ce qu'est apprendre. (...)

6 — Monique Virelaude : Y a-t-il un sens profond à l'art ?
L''art offre t-il à nos organes des sens la capacité à voir l'invisible, à toucher l’indéfinissable, à entendre le silence ? Est-ce nous qui touchons ou sommes-nous touches ? Où ? Comment ? Qu’est-ce qu’une vibration ?
Nous prendrons appui plus précisément sur l’art plastique et surtout l’art abstrait conçu comme aboutissement, qui, sans plus d’objet, sans plus d’histoire, nous permet, au sein de notre propre vulnérabilité, d’être ce voir intérieur, ce senti, ce mouvement, cette couleur, cette matière, cette vibration plus fine. (...)

16 — Betty : L'art dans la vie du chercheur
L'élan artistique éveillait en moi l’émerveillement, l’appel intérieur à la beauté absolue. Cet élan créateur semblait surgir directement du plus profond de mon âme, pas de moi, cette femme qui semblait avoir un quotidien banal. Cet élan semblait venir d’une autre fréquence ! Je cherchais à maintenir cet état créatif qui ne durait pas et se tarissait au gré du temps. La recherche de la beauté reprenait, l’angoisse et l’insatisfaction aussi. Je m’interrogeais sur la beauté du monde, de la nature, des objets, des sons, ma beauté intérieure et celle des autres ». (...)

22 — René Barbier : Il n'y a plus d'eau dans la mer
3e millénaire - La dimension de l'art n'est pas ordinaire au sens où elle peut toucher à une intériorité très profonde. J'aimerais avoir votre ressenti sur cet acte mystérieux qui consiste à se mettre comme en attente de quelque chose qui peut jaillir de soi, en résonance avec l'instant, soi-même, on ne sait quoi...
René Barbier - Je vais prendre Part essentiellement sous l’angle de la poésie. J’en ai une longue pratique depuis l’adolescence et je ne l’ai jamais abandonnée. La poésie m’ouvre aussi à d’autres formes d’art. Elle me permet d’en comprendre l’importance. J’ai beaucoup réfléchi sur l’importance de l’art et en particulier de la poésie dans le devenir de l’être humain. (...)

28 — Serge Carfantan : Sur la contemplation esthétique
Arthur Schopenhauer garde dans l’opinion l’image d’un philosophe ascétique qui a écrit que la vie humaine balance éternellement de la souffrance à l’ennui. On ne va pas le chercher quand il s’agit de parler du bonheur, mais plutôt pour évoquer les errances du désir et la malédiction du temps psychologique. Pourtant, si la vie humaine est la proie du temps, si elle est torturée par l’attente et les regrets, il est aussi des moments où le temps psychologique est suspendu. Et quand le temps psychologique s’arrête, la vie se réconcilie avec elle-même et goûte le seul vrai bonheur selon Schopenhauer, celui de la contemplation, esthétique. (...)

32 — Gabriel Wolfer : Jean-Sébastien Bach , un voyage vers la musique “objective”
3e millénaire - Organiste et claveciniste, vous travaillez essentiellement sur l'œuvre de Jean-Sébastien Bach, pouvez-vous nous dire concisément comment vous percevez cette œuvre magistrale ?
Gabriel Wolfer - L'œuvre de Bach est un univers... Avec ce compositeur, la musique devient un langage, un moyen de dire le monde avec l’ensemble de la tragédie humaine, mais aussi avec l’espérance et le fait que l’on se sente porté par une dimension spirituelle et par tout ce qui fait que le monde est beau. (...)

48 — Edouard Salim Michael : La relation entre la grande musique et une quête spirtuelle
Edouard Salim Michael a été compositeur de musique symphonique et violoniste soliste en Angleterre, c’est en se basant sur son expérience de musicien, qu ’il a souligné dans tous ses ouvrages l’importance de la musique et le rôle qu’elle peut jouer dans une quête spirituelle.
Il a toujours souligné à quel point de brillants chefs d’orchestre comme Karajan, Bernstein, Celibidache, Haitink, des interprètes de grand talent comme Hélène Grimaud, Evgueny Kissin, Pablo Casais, Rostropovitch ou La Callas, et tout particulièrement de grands compositeurs de génie comme Gustav Mahler, Debussy ou Ludwig van Beethoven, sont tous des êtres passionnés, animés de la plus grande exigence vis à vis de leur art. Leur capacité de travail, de concentration, d’attention et d’intériorisation est hors de l’ordinaire. Ces grands musiciens témoignent d’états de conscience qui, dans la pratique de leur art, les élèvent au-delà du monde tangible. (...)

52 — 3e millénaire : L'Art peut-il être objectif ?
Envisager l’objectivité de l’art peut paraître totalement inapproprié, puisque le moderne considère tacitement que l'art est subjectif. Et aujourd’hui, cette question est d’autant plus incongrue dans la mesure où l’objectivité de la science est sérieusement remise en question [1], Pourtant, en musique avec Bach en particulier (voir l’article de Gabriel Wolfer dans ce numéro), au théâtre avec Stanislavski [2], dans les arts plastiques avec Rudolf Steiner [3] et sa démarche goethéenne fondée sur l’observation, l’art peut s’appréhender sous une certaine objectivité. (...)

54 — Père Lazaré : La fragmentation du Beau
3' millénaire - De nombreux artistes déclarent leurs œuvres dans un contexte politique. L'art peut-il être une démarche politique ?
Père Lazaré - Dans le domaine de l’art, le concept, tel qu’on l’entend aujourd'hui, n’est pas une idée véritable, c’est un slogan, sans plus ; il ne conduit personne à penser, il impose des opinions. L’éveil de la conscience ne repose pas sur des opinions ou sur ce qu’il est bien de croire. L’éveil de la conscience commence par un acte du Penser qui implique l’être dans sa globalité. Une véritable action politique - qui n’est pas une “réaction” - ne pourra jamais provenir d’une forme d’art conceptuel. Pour comprendre cette impossibilité, il faudrait peut-être relire les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, écrites par Schiller [1] en cette période révolutionnaire de la fin du XVIIP siècle. Là, le questionnement sur l’art nous conduit directement au politique. (...)

58 — Michael Radulescu : La passion dans la musique vécue
3e millénaire - En tant que compositeur contemporain de musique sacrée, comment vous situez-vous par rapport à la spiritualité ?
Michael Radulescu - Je lis actuellement un livre remarquable d’Aldous Huxley, La Philosophia perennis. Huxley relie les religions à la spiritualité et, comme lui, je suis convaincu que le spirituel est l'essentiel de toute religion. Sur le plan religieux, j’ai d’ailleurs la chance d’avoir reçu un fond œcuménique puisque mon père était orthodoxe, ma mère catholique et j’avais un grand-père luthérien. Toutefois, dans le contexte chrétien, je me sens plutôt luthérien ; mais je suis aussi “catholique” au sens de l'universalité donné à ce terme, car tout à fait en dehors du contexte politique et idéologique de la religion catholique. Pour moi, être catholique, c’est alors embrasser toute l’humanité. (...)

66 — Frère Jean : L'ouverture au Sacré
Se tenir en présence d’une œuvre d’art, ce n’est pas se tenir à l’écoute de l’artiste pour en recueillir les confidences ou le message. Ce qu’est l’œuvre, l’artiste ne le sait pas avant d’être surpris par elle. Maître d’ouvrage, il n’est pas le maître d’œuvre. Une œuvre doit sortir de rien, jaillir du silence. Elle n’est pas issue d’une réflexion hasardeuse, d’une technique élaborée ou d’un imaginaire fécond. Sa manifestation procède d’une ouverture du cœur subtil. L’artiste se laisse surprendre par la réalité qu’il rend visible par- des traits de lumière. (...)

69 — Frère Jean : L'art de la photographie
Par la photographie je souhaite montrer des images sans mise en scène, sans accessoires, dépouillées et vraies.
Je souhaite capter l’énergie du souffle, d’un regard avant son jaillissement dans le mouvement en le surprenant à son origine dans les entrailles.
Révéler le mystère qui habite au plus profond de chaque visage montrer des mouvements éternels dans les gestes quotidiens, témoigner de l’harmonie de la Beauté.
Non pas voyeur, mais voyant,
non pas écouteur, parleur, mais écoutant, parlant, non pas prendre des photographies dans un safari monastique mais recevoir des photographies. (...)

74 — Catherine Cairn : L'art de l'incarnation
3’millénaire - Nous voyons dans vos sculptures une harmonie évidente, un équilibre des forces entre pesanteur et légèreté... Toutefois, pour le sculpteur aujourd'hui, le beau a-t-il encore un sens ?
Catherine Cairn - Avec la sculpture on est dans un art de l’incarnation, un art qui manifeste l’ancrage à la Terre, à la matière. Michel-Ange disait de l’oeuvre qu’elle est déjà dans le bloc de pierre, qu’on doit s’atteler à l’en dégager. Il résume ici la quête du sculpteur, un chercheur qui explore la matière dans le dessein d’atteindre la lumière intérieure. Je parle bien entendu de l’art statuaire, “l’art du corps vivant”, une discipline multimillénaire. qui est probablement la première forme d’expression chez l’homme bien avant le langage articulé. Un art. il est bon de le rappeler, est par définition une technique culturelle. (...)

82 — Pascale et Udo Zembok : Epiphanie de la lumière
3‘ millénaire - Vous connaissez bien la démarche phénoménologique de Goethe, en quoi votre travail est-il une approche goethéenne ?
Pascale Zembok - Lorsqu’un commanditaire nous confie la conception d’une œuvre intégrée dans l’architecture, notre travail développe une démarche goethéenne, fondée sur une observation globale du lieu : historique, géographique, sociologique,... sur ce qui va vivre en ce lieu bien particulier, sur ce que l’on va y faire, quelles sont les personnes qui vont y travailler, passer, prier ou méditer. (...)

88 — David Ciussi : L'oeuvre naît-elle de l'artiste ou l'artiste fait-il partie de l'oeuvre ?
Question - Qu'est -ce qu'une œuvre d'art ?
David Ciussi - L’art est cet admirable geste qui se répète depuis que le premier artiste a su fabriquer ses outils ou peindre sur les parois des cavernes.
Depuis, cet artisan-inventeur a perfectionné son savoir-faire tant sur le plan intuitif que technique et mental. Les observations subtiles de son intériorité et de l’environnement lui ont valu d’éclairer l’humanité d’œuvres plus sublimes les unes que les autres, dans les domaines de la littérature, la poésie, la science, l’art et les sciences humaines. (...)

Témoin d'éveil :

78 — Olivier Seyden : Le Yoga, mon amour
Je fais du yoga depuis de longues années, depuis trois décennies. Au début, je n’en faisais pas beaucoup, je suivais un cours par semaine, comme la plupart d’entre vous. Et puis, j'ai senti, ou plutôt, j’ai vu que mon corps a senti, j’ai constaté que mon être a senti. Autre manière de dire : j’ai senti mon être, ou j’ai senti l’être dans mon corps. Et comme c’est étrange ! Comme c’est grand ! Comme c’est bon ! Se sentir être dans le corps tout entier, et en même temps, se sentir autre dans ce corps que l’on dit “sien”, sentir que “être”, c’est être plus que moi, que cet être que je sens, que ce corps que je sens ne m’appartient pas, ou n’appartient pas à cet entité étroite que j’appelle “moi” et à laquelle je m’identifie, pour les autres, et aussi pour moi. Dans l’être humain, quelque chose veut être séparé, veut se poser en s’opposant à tout le reste, à tous les autres (et en particulier à certains autres), et ce quelque chose s'approprie les choses, il les prend, il prend possession des êtres au-dehors de lui, et il dit : « c’est à moi » ou tout simplement : « c’est moi ». C’est ainsi que je dis « mes enfants », comme si mes enfants étaient à moi ! Comme s’ils m’appartenaient ! Que je dis : « ma femme » ou « mon mari ». (...)

Documents :

45 — Hegel : L’Art : une quête de soi
G. W. F. Hegel (1770-1831), philosophe allemand, a produit une œuvre considérable, postérieure à celle de Kant. Il enseigna la philosophie sous la forme d'un système de tous les savoirs suivant une logique dialectique qui se résume dans son "Encyclopédie des sciences philosophiques" (1817). Son point de départ est celui d'une "phénoménologie de l'esprit", c'est-à-dire d'une connaissance de soi par l'observation de l’acte de penser. (...)
*Ce document est extrait de "L'Esthétique" parue aux Éditions Puf (1953).

63 — Plotin : A la recherche du Beau
Plotin (205-270), philosophe grec de l'Antiquité tardive, fut le fondateur du néoplatonisme qui influença l'ensemble de la philosophie occidentale. Il installa son école à Rome en 246. Sa lecture des Dialogues de Platon orienta la pensée chrétienne en pleine formation. Dans l’esprit de Platon, Plotin considère plusieurs niveaux de réalité : le sensible, l'âme, l'intelligence et l'Un. L'être humain doit remonter du sensible à l'Un en passant par la connaissance de l'âme et de l'intelligence. De plus, il distingue dans tout objet deux éléments, la matière et la forme. La matière est tous les êtres en puissance; par suite elle est le non-être, la laideur et le mal. La forme est l'acte, c'est-à-dire l'essence et la puissance (l'idée selon Platon) ; elle seule possède l'existence réelle, la beauté et la bonté. (...)
*Ce texte est extrait du traité Du Beau, de l’Ennéade I, traduit par N. M. Bouillet.

72 — Schiller : Education esthétique et mutation
J.C.F. Schiller"> (1759-1805), philosophe, poète et écrivain allemand, contribua par son œuvre traitant de problèmes politiques, éthiques et esthétiques à l'avancée des idées à la fin du XVIIIe siècle. Ami de Goethe, il prit avec lui la direction du Théâtre de la Cour grand-ducale, à la pointe de la scène théâtrale allemande, permettant une renaissance du genre dramatique.
La pédagogie de Rudolf Steiner s'inscrit dans la ligne inspiratrice des idées de Schiller sur l'éducation esthétique. En effet, pour Steiner, l'enfant est "artiste" et tous les apprentissages doivent passer par l'art. (...)
*Ce texte est constitué d'extraits des Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (Aubier, 1943).

15 — Pierre-Antoine Dujardin : Encore un effort ! Pour une révolution intérieure perpétuelle
J'aime les révolutions. J’aime ces moments d’explosion où tout semble à nouveau possible. Ces moments de libération où l’on peut croire et goûter un instant à la liberté. Mais croire et goûter un instant à la liberté. Mais bientôt, le bon sens reprend ses droits, bientôt, le révolutionnaire se transforme en ministre. Ce qui était vent de liberté sc fait dogme. C’est que la liberté n’est pus dans l’idée a laquelle on croit, mais dans le fait quelle aide à détruire ce qui nous oppressait. (...)

Littérature et Spiritualité :

40 — Roger Godel : L’homme et son génie : Arthur Rimbaud
Roger Godel, connu par son Essai sur l'expérience libératrice (1952) (réédité chez Almora), s'est intéressé à l'art et aux artistes touchés par leur génie. Il publia en 1937, un ouvrage, édité au Caire, intitulé L'homme et son génie précisément parce que, dit-il « Aujourd'hui nous ne croyons plus au génie ». « Mon intention, précise-t-il, n'était pas d'esquisser des biographies mais bien de décrire trois grands duels de l'esprit, trois luttes intimes et violentes ». C'est ainsi qu'il décrit Beethoven dont « la mission unique » est « de servir son inspiration », van Gogh qui, « avec ardeur » « s'applique à servir le démon qu'il a découvert en lui ». Et, dans le texte reproduit ici, Arthur Rimbaud qui « organise sa vie autour d'une attitude de révolte. L'opposition des deux partenaires qu'il porte en lui, se laisse nettement saisir dans ce combat. L'homme renie, par principe, la Beauté, tourne en dérision ses propres joies, saccage toutes les plus hautes impulsions de son génie. Ainsi s'éteint pour toujours chez lui, la puissance créatrice. » (...)

Poésie :

27 — Brigitte Maillard : La simple évidence de la beauté

N°108 - Editorial - Eté 2013

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